Stratégie retail

Intersport trace sa stratégie 2025-2030 entre prix bas, proximité et expansion européenne


Gérard Leclerc, président d’Intersport, dévoile comment l’enseigne entend préserver sa croissance continue : assumer une politique prix offensive, capitaliser sur son modèle coopératif et accélérer son expansion européenne. Entretien.

Gérard Leclerc a été nommé, en octobre 2024, PDG d’Intersport France & Belgique. - © D.R.
Gérard Leclerc a été nommé, en octobre 2024, PDG d’Intersport France & Belgique. - © D.R.

Vous évoquez la dynamique de croissance continue d’Intersport ces dernières années. Pouvez-vous préciser ?

Depuis la dernière vision stratégique mise en œuvre entre 2020 et 2024, nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2020 à 3,880 milliards d’euros en 2024. Cette progression s’est faite de manière continue, sans palier, et c’est ce que nous recherchons : une croissance constante, sans effets de report. Notre force, c’est la proximité. Nous sommes présents dans tout le pays avec 980 magasins, dont 563 en périphérie et 14 points de montagne. Cette implantation traduit notre volonté de rester proches des Français, ce qui fait partie intégrante de notre ADN, avec 13 millions de Français encartés à notre programme de fidélité. Ce maillage est porté par une valeur coopérative forte et un engagement collectif. Et c’est cela, notre supplément d’âme. Entre 2020 et 2024, 300 magasins ont été transformés, soit plus de la moitié de notre parc. Ces transformations ont été financées par les adhérents eux-mêmes, avec plusieurs centaines de millions d’euros investis. De notre côté, la coopérative a investi 138 millions d’euros sur cinq ans, notamment dans les entrepôts. Ce sont des engagements réels, solides, partagés.

Vous venez de dévoiler une nouvelle plateforme de marque : « Intersport, engagé sport ». Quelle est la philosophie derrière ce repositionnement ?

C’est une étape importante, car elle vient traduire concrètement notre mission et notre engagement. Nous avons voulu poser des mots clairs sur une réalité que nous vivons déjà : rendre le sport accessible à tous. Aujourd’hui encore, un Français sur trois estime que le sport n’est pas réellement accessible, 54 % jugent qu’il est financièrement hors de portée, et 56 % déclarent avoir déjà repoussé un achat de matériel faute de moyens. Ces chiffres sont parlants. Ils disent qu’il y a encore trop de barrières économiques, logistiques ou sociales à la pratique sportive. Avec cette nouvelle signature, « Intersport, engagé sport », nous assumons un cap : nous voulons lever ces barrières. C’est une conviction et une mission. Elle se décline autour de trois grands piliers. Le premier, c’est « engagé prix » : permettre à chacun de s’équiper, avec des premiers prix performance, des promotions toute l’année, et des prix engagés sur les grandes marques. Le deuxième, c’est « engagé sur le terrain » : soutenir les clubs, les bénévoles, les événements, être présent partout où le sport se vit au quotidien. Le troisième, c’est « engagé pour demain » : produire localement, prolonger la durée de vie des équipements, réduire notre empreinte environnementale. Ces trois dimensions forment une même dynamique.

Comment cette posture se traduira-t-elle concrètement pour les consommateurs ?

Très simplement, en preuves visibles. Dans nos magasins, vous trouverez plus de 1 000 produits à moins de 10 €, 365 jours par an. Nous nous engageons aussi à proposer des prix justes sur des références de grandes marques, avec des comparaisons claires entre le prix conseillé et le prix Intersport. Sur le terrain, c’est plus de 20 000 clubs partenaires, 50 millions d’euros reversés chaque année au sport amateur, 14 000 vélos donnés à des collégiens, ou encore la rénovation d’infrastructures en partenariat avec l’Olympique de Marseille. Pour demain, c’est 300 000 vélos assemblés en France chaque année à Machecoul, 550 magasins équipés pour collecter et réparer du matériel usagé, et un entrepôt flambant neuf certifié aux meilleurs standards environnementaux. Tout cela, ce sont des preuves tangibles que nous ne faisons pas qu’énoncer des principes : nous agissons.

Certains pourraient craindre qu’un discours centré sur le prix nuise à votre image. Comment l’assumez-vous ?

Nous n’avons aucun complexe à parler de prix. C’est un sujet central pour les Français, et nous préférons l’aborder frontalement plutôt que de le laisser aux autres. Mais attention : prix bas ne veut pas dire qualité moindre. Avec « Premier Prix Performance », nous prouvons qu’un produit accessible peut être technique et durable. Ces produits existaient déjà chez nous, mais ils n’étaient pas suffisamment valorisés. Il y avait une perception que « premier prix » signifiait forcément manque de technicité. C’était une erreur. Nous avons donc voulu leur donner plus de visibilité, mieux les scénariser dans les magasins, et surtout montrer que, même à petit prix, la technicité peut être au rendez-vous. Cette gamme va continuer à s’élargir pour couvrir l’ensemble des catégories sportives, y compris les sous-catégories que nous ne touchions pas jusqu’ici. Et avec nos prix engagés sur les grandes marques, nous montrons que l’accessibilité ne se limite pas à nos marques propres. Je le dis très clairement : si nous devons rogner sur nos marges pour permettre à plus de Français de pratiquer, nous le ferons. Ce choix est assumé collectivement par nos 333 adhérents. C’est une posture de responsabilité, mais aussi une conviction que le volume et la fidélité générés compenseront sur le long terme.

Vous dites vouloir devenir incontournable sur les deux premiers niveaux de prix. Comment concilier cela avec la rentabilité et l’image de marque ?

C’est tout l’enjeu, bien sûr. Nous savons que le prix est devenu un critère central, encore plus qu’il y a quelques années. Il est donc hors de question de l’ignorer. À nous de trouver le bon mix pour proposer des prix engagés, des prix promotionnels… tout en préservant nos marges. Au fond, c’est une posture que nous assumons : travailler le prix sans rogner sur la perception ni sur les besoins des consommateurs, et concilier accessibilité et rentabilité.

Quel regard portez-vous sur la reprise des magasins Go Sport ?

Nous avons repris le réseau en septembre 2024. C’était une étape importante, notamment pour renforcer notre présence à Paris intra-muros. Cette reprise, c’est aussi 323 000 m² supplémentaires que nous avons intégrés dans notre réseau, ce qui est considérable. Nous avons fait un travail énorme pour transformer ces points de vente rapidement.

Vous ouvrez désormais un nouveau cycle stratégique, entre 2025 et 2030. Quels en sont les grands axes ?

La France reste bien sûr notre socle. Mais nous renforçons également notre présence en Belgique, et dès 2026, nous allons développer le marché portugais. Cela s’inscrit dans notre volonté de renforcer notre présence en Europe du Sud. Il reste encore quelques pays autour de nous que nous espérons bien conquérir à moyen terme. Nous avons une ambition forte : être le premier commerçant sportif français, mais aussi nous rapprocher de chaque Portugais, de chaque Belge… et, pourquoi pas, d’autres nationalités demain.

Quelle est aujourd’hui votre analyse du marché du sport en France ?

Le marché global représente environ 20 milliards d’euros. Il faut y inclure 2 milliards liés à la seconde vie et 2 autres milliards aux produits en location. Nous avons une vision assez fine grâce à notre partenariat avec Circana, et les projections donnent une croissance de 2 % par an. Notre part de marché s’élève à 14,3 %, ce qui nous laisse de belles perspectives. Avec près de 1 000 magasins répartis partout en France, nous avons encore un potentiel d’amélioration. Je ne vous dirai pas aujourd’hui la part de marché que nous visons, mais elle sera évidemment plus élevée qu’aujourd’hui. Nous ne voulons surtout pas nous écarter de notre marché fondamental, qui est le sport. C’est notre ADN. À l’image de certains distributeurs alimentaires qui, à une époque, se sont éloignés de leur cœur de métier pour finalement y revenir, nous refusons de commettre cette erreur. Notre mission, c’est de permettre au plus grand nombre de pratiquer le sport. Et pour cela, nous devons rester concentrés sur ce que nous savons faire.

Vous avez mentionné que les marques propres avaient progressé de 70 % en 5 ans. Quel est l’objectif à horizon 2030 ?

Nous sommes très lucides sur notre positionnement. Contrairement à Decathlon, qui réalise 80 % de son activité avec ses marques propres, nous avons un modèle inversé. Les marques nationales restent importantes pour nous. Mais nous avons pour ambition de faire passer la part de nos marques propres de 30 % à 35 % du chiffre d’affaires d’ici à cinq ans.

Certains vous ont reproché de vous éloigner du cœur sportif pour aller davantage vers le lifestyle. Est-ce une rupture stratégique ?

Non, ce n’est pas une rupture. Le sport reste notre colonne vertébrale, et toute l’entreprise - centrale, points de vente, communication - doit porter cette ambition. Le lifestyle est une opportunité complémentaire, logique car en étant présents partout, nous sommes souvent à la fois le magasin de sport et le magasin de textile de proximité. Dans certaines zones rurales, le rôle d’un Intersport peut différer de celui d’un magasin en région parisienne. Mais ce qui compte, c’est de toujours s’adapter aux besoins locaux tout en renforçant notre positionnement sport.

Vous avez repensé la gouvernance territoriale avec une nouvelle organisation en 10 zones régionales. Quels bénéfices en attendez-vous ?

Nous avons longtemps fonctionné avec des logiques descendantes, du national vers le local, que ce soit pour les assortiments, la communication ou la formation. Aujourd’hui, il est temps d’inverser cette logique pour mieux coller aux réalités de terrain. Les attentes d’un magasin en zone montagneuse ne sont pas les mêmes que celles d’un magasin en bord de mer ou en centre urbain. Chaque région devient un véritable centre de décision avec une taille significative - environ 400 millions d’euros - ce qui équivaut à une enseigne de taille intermédiaire. Elles pilotent l’animation commerciale, les assortiments, la formation, et demain d’autres leviers encore. Cette décentralisation nous permettra d’être plus proches des Français, plus agiles et plus pertinents, dans l’esprit coopératif qui est le nôtre. Par exemple, la location de vélos a d’abord été testée dans certaines régions, notamment dans l’Ouest, où l’usage est plus répandu pendant les vacances. Cela nous a permis d’expérimenter, de calibrer les process, et d’adapter les outils marketing avant d’envisager une extension.

Le digital représente aujourd’hui 6 % de votre chiffre d’affaires. Quelle est votre priorité : augmenter ce chiffre ou renforcer l’omnicanalité ?

Notre objectif n’est pas d’opposer digital et physique, mais de faire converger les deux dans une logique de complémentarité. Chez nous, le digital part des magasins : ce sont eux qui détiennent le stock, et qui permettent d’assurer le service. Aujourd’hui, nous avons plus de 500 millions d’euros de produits disponibles à la vente en ligne. Et nous travaillons sur un projet important : LEM, pour « Livraison En Magasin ». Cela permettrait au client de commander en ligne et de venir retirer son produit en point de vente, avec la possibilité de l’échanger ou de le faire ajuster sur place. Ce projet est en cours de déploiement. Jusqu’ici, nous faisions essentiellement de la livraison à domicile ou en point relais. Demain, cette logique de drive-to-store sera un levier fort pour animer les magasins et enrichir l’expérience client.

Nous ne cherchons pas à atteindre un chiffre pour le principe. Ce qui nous intéresse, c’est la croissance globale. Une forte croissance du digital, si elle se fait au détriment du physique, ne nous intéresse pas. L’objectif est de faire croître les deux canaux ensemble, au service d’un tout cohérent. C’est cela, la vraie performance omnicanale.

Vous avez beaucoup investi en logistique ces dernières années. Que va changer votre nouvel entrepôt mécanisé de 48 000 m² ?

Cet entrepôt, en cours d’automatisation, représente un investissement stratégique sur le long terme. Il va nous permettre d’améliorer le service aux adhérents, en leur garantissant des livraisons plus régulières, plus rapides et plus fiables sur certaines typologies de produits. Ce ne sera pas immédiatement rentable - nous tablons sur un retour sur investissement entre 9 et 10 ans. Mais c’est une transformation nécessaire, qui s’inscrit dans notre volonté d’avoir un schéma logistique plus robuste. En parallèle, nous avons aussi ouvert un entrepôt dans le Sud pour équilibrer nos flux logistiques entre le nord et le sud du territoire, et ainsi réduire les distances de transport.

Vous êtes leader sur plusieurs segments comme le foot, le running, le vélo. Où voyez-vous les plus fortes marges de progression à court terme ?

Elles sont multiples. Bien sûr, il y a des catégories sportives majeures comme le running, qui est en forte croissance. Nous allons renforcer notre présence sur ce segment, que ce soit dans les assortiments, les métriques, ou les niveaux de stock. Mais nous allons aussi aller plus loin dans la segmentation, en travaillant les sous-catégories et les produits plus spécifiques, afin de répondre avec précision aux attentes des pratiquants.

Vous avez évoqué la volonté de mieux adresser certaines cibles comme les enfants, les seniors et les femmes. Comment comptez-vous y parvenir ?

Les actions sont déjà en cours. Nous avons bien identifié ces publics comme prioritaires, et nous travaillons sur des offres spécifiques. Je ne souhaite pas encore les dévoiler en détail, mais elles arriveront rapidement. Sur le sport pour les enfants, c’est un axe fort. Et vous avez raison d’y revenir, c’est important. Nous avons peut-être mal formulé les choses dans certaines communications précédentes, mais nous avons rectifié : les enfants sont bien au cœur de notre stratégie.

Retail Days - Atelier-débat :Comment capitaliser encore plus sur la donné client grâce à l’IA ?

Rdv les 29 et 30 septembre à Deauville. - © D.R.
Rdv les 29 et 30 septembre à Deauville. - © D.R.

Dans le cadre des Retail Days, les 29 et 30 septembre 2025 à Deauville, un atelier-débat sera consacré à comment capitaliser encore plus sur la donnée client grâce l’IA ? ? Solange Potel, directrice générale adjointe d’Intersport, viendra partager sa vision et ses retours d’expérience.

Demandez votre inscription à Retail Days pour venir l’écouter et échanger pendant deux jours sur les grandes tendances du retail et rencontrer des prestataires innovants.