De Beebs à Kitchoun : Kiabi industrialise ses nouveaux modèles
Seconde main, Kiabi Home, Kitchoun, abonnement En Famille+, communauté clients, affiliation à la performance… L’enseigne nordiste transforme ses expérimentations en business models durables, bâtissant pas à pas une plateforme de marques et de services.

À l’occasion d’une conférence de presse organisée dans le nouveau magasin de Vélizy la semaine dernière, la directrice générale France Ouarda Ech-Chykry et la directrice des nouveaux business Estelle Urbain ont déroulé la feuille de route d’une enseigne de mode qui conçoit désormais ses initiatives comme des « mini-entreprises » à part entière. De la seconde main à la décoration, du programme d’abonnement à l’affiliation revisitée, Kiabi bâtit une véritable fabrique à modèles économiques.
Le premier semestre s’est « très bien passé », insiste la dirigeante, avec des résultats « au rendez-vous » en chiffre d’affaires et en rentabilité. Quatorze nouveaux magasins ont été ouverts dans le monde, portant le réseau à 593 points de contacts. En France, huit nouveaux points de vente ont ouvert cette année, portant à 353 le nombre de magasins dans l’Hexagone. Ce total paraît « un peu moins » élevé que celui annoncé en début d’année, car Kiabi a mis fin, pour des raisons distinctes selon les enseignes, aux partenariats de shop-in-shop chez Auchan et Cora. En valeur, le marché de l’habillement progresse d’environ +1,5 %. L’enseigne affirme se situer « bien au-dessus » de cette croissance au S1. Selon Worldpanel by Numerator, les ventes de Kiabi ont progressé de +8 % en valeur au premier semestre 2024, soit une performance très supérieure à celle du marché. En valeur, l’enseigne se dit n° 2 derrière Intersport, avec 4,3 % de part de marché contre 5 % pour Intersport. « En volume, nous restons leaders, notamment sur plusieurs rayons dont le rayon filles », note Ouarda Ech-Chykry.
De la mode au mode de vie
Depuis la présentation de sa Vision 2035, co-construite avec ses 10 000 collaborateurs, Kiabi assume un virage stratégique majeur : passer « d’un acteur de mode à une plateforme de marques et de services au service des familles ». Une ambition qui s’appuie sur un processus d’innovation structuré autour de trois étapes. « Nous captons les signaux faibles des usages, nous testons leur pertinence pour Kiabi et leur valeur pour le client, puis nous ne déployons à grande échelle que ce qui fonctionne vraiment », explique Estelle Urbain, leader des nouveaux business.
Ce qui pourrait ressembler à une simple démarche d’expérimentation s’apparente en réalité à un véritable système industriel. Chaque innovation est conçue pour être réplicable, mesurable, rentable à long terme. « L’innovation, c’est facile, résume Estelle Urbain. Le plus dur, c’est de la transformer en business. »
Beebs by Kiabi : de la plateforme au service intégré
Premier exemple emblématique : la seconde main. Après le rachat de Beebs en 2024, Kiabi a internalisé la collecte des vêtements directement dans ses magasins après l’arrêt de son concept Kidkanaï durant l’été 2024. À fin septembre 2025, 50 % du parc français hors affiliés opère déjà la collecte en propre, avec une cadence de 15 nouveaux magasins par mois. L’objectif est d’atteindre 100 % du parc européen d’ici 2027. Les clients trient leurs vêtements selon une charte précise, les déposent en magasin et reçoivent un bon d’achat à dépenser en première ou en seconde main.
Kiabi a internalisé la collecte des vêtements directement dans ses magasins.
« C’est un service citoyen, mais aussi un levier de trafic et de fidélisation, insiste Ouarda Ech-Chykry. Le client vide son dressing et consomme dans la foulée : tout se passe dans un même parcours omnicanal, fluide et local. » Chaque magasin gère ses flux de seconde main comme un commerçant indépendant, sans surstock signalé à ce jour. Une illustration concrète de la philosophie Kiabi : apprendre, ajuster, puis industrialiser. Sur la question de sa rentabilité, la réponse de la dirigeante est prudente : « C’est une activité dans laquelle nous apprenons ». Kiabi raisonne long terme : le service est évalué dans l’écosystème global, pas isolément. À l’international, la collecte en propre arrivera en 2026 en Belgique, en Espagne et au Portugal. D’ici là, l’offre seconde main reste en partenariat avec des prestataires locaux, mais la volonté est d’internaliser.
Kiabi Home : un test devenu pilier
Autre initiative issue du laboratoire Kiabi Village : Kiabi Home. Lancée en 2024, la gamme de linge de lit, linge de maison et accessoires déco est aujourd’hui présente dans 100 % des magasins, et théâtralisée sur 70 mètres carrés dans une vingtaine de points de vente en France. Les résultats dépassent les attentes. « L’accueil client a été immédiat, nous allons augmenter la surface dédiée dès 2026 », confirme Ouarda Ech-Chykry.
L’offre, déjà déployée en Belgique, Espagne et Italie, se renouvelle au rythme des saisons. En parallèle du textile, Kiabi teste des produits complémentaires : boîtes à goûter, gourdes, affiches déco, linge de bain dans une logique de « mode de vie familial » plus que de simple prêt-à-porter. Aucun projet de magasin autonome Kiabi Home n’est encore prévu, mais la direction « ne s’interdit rien » car au vu de la superficie qui atteindra 150 mètres carrés, on peut imaginer une volonté future de magasins dédiés.
Kitchoun : une marque pensée comme une start-up
Même logique avec Kitchoun, nouvelle marque de chaussures pour enfants lancée cet été dans 500 magasins. L’enseigne a voulu combler un vide stratégique. « Nous sommes leaders sur le vêtement enfant, mais pas encore sur la chaussure », observe Ouarda Ech-Chykry. Co-conçue avec des podologues, la gamme privilégie souplesse et motricité naturelle, à des prix compris entre 9 et 29 euros.
Les premiers résultats sont probants avec « des avis clients entre 4,5 et 5/5 ». Kiabi a également noué un partenariat avec La Maison des Maternelles sur France 5 et les crèches Babilou pour des contenus pédagogiques. L’ambition est claire : élargir progressivement les pointures « jusqu’à la cour de récré » (le primaire) aujourd’hui jusqu’au 24 et la saison prochaine étendue au 27, sans perdre de vue la cible familiale.
Des services rentables et scalables
Au-delà des produits, Kiabi développe de nouveaux services générateurs de récurrence comme l’abonnement En Famille+, lancé cet été après un an de test. Pour 15 euros par an, le client bénéficie de 10 % de réduction sur un rayon choisi (homme, femme, enfant ou bébé) et de 5 % sur les autres. L’abonnement s’applique à Kiabi, Kiabi Home et Kitchoun mais hors seconde main. Les réductions sont cumulables toute l’année, y compris les soldes. « Nous avons atteint 2,5 fois notre objectif initial dès les premières semaines », se réjouit Estelle Urbain. L’enseigne vise désormais 500 000 abonnements à trois ans.
Autre pilier de fidélisation : la Kiabi Community, forte de 300 000 membres, où les clients échangent, co-construisent des produits et participent à des tests collection. « La communauté est un outil d’apprentissage mutuel, explique Estelle Urbain. Elle nourrit la marque autant qu’elle engage les clients. » Trois communautés actives : grande taille, jeunes parents, et récemment Home/décoration. Les membres co-construisent des produits avec les équipes collection à Kiabi Village « deux à trois fois par an », répondent à des sondages flash (formes, couleurs, imprimés) et participent à des tests produits. La communauté a 3 ans, totalise 300 000 membres et s’enrichit thématiquement. L’intérêt est « en symétrie » : la marque apprend de façon aiguë sur le produit et l’usage ; les membres trouvent écoute, conseils et confiance entre pairs.
Enfin, Kiabi Link réinvente l’affiliation. Partant du constat que des clientes, des nano-influenceuses de fait, promeuvent spontanément les produits Kiabi, l’enseigne a bâti un programme qui les rémunère pour les ventes qu’elles génèrent. Le cœur d’audience de ces créatrices est réduit souvent entre 5 000 et 30 000 abonnés, elles choisissent librement quoi poster, sans contrat, sans obligation de rythme ni de volume. Le programme, adossé à la société Affilae, compte déjà 400 « linkeuses ». En un an, le nombre de nano-influenceuses a triplé. La rémunération oscille entre 7 % et 9 %. Ces 400 micro-créatrices sont rémunérées entre 7 % et 9 % des ventes qu’elles génèrent via leurs contenus. « C’est un vrai canal de vente, mais surtout un levier d’authenticité », souligne la direction. En un an, le nombre de nano-influenceuses a triplé.
Kiabi développe de nouveaux services générateurs de récurrence comme l’abonnement En Famille+
Kiabi a appris à formaliser cette culture du test & learn. Certains POC ont été arrêtés : un restaurant, un service de manucure, des ateliers créatifs trop lourds en animation quand d’autres ont été ajustés. La personnalisation textile, par exemple, s’est déplacée des magasins vers une production centralisée dans les entrepôts, tandis que les magasins accompagnent désormais le client dans la création en ligne. « Nous n’avons pas peur de dire que nous arrêtons certains tests, précise Ouarda Ech-Chykry. L’essentiel est de transformer l’innovation en business accessible et utile pour le plus grand nombre. »
Un anti-fast fashion assumé
Kiabi se veut l’antithèse du modèle ultra fast fashion. L’enseigne fonctionne avec deux grandes collections annuelles et six renouvellements, « loin des cadences extrêmes », souligne la direction. Elle mise sur la durabilité des produits, leur éco-conception (objectif 100 % fin 2025) et leur compatibilité avec l’écosystème circulaire. La marque ne nie pas la concurrence frontale des acteurs d’ultra low-cost, mais choisit d’y répondre par la qualité et la cohérence. « Quand on nous demande pourquoi acheter un tee-shirt chez nous, la réponse est simple : pour sa qualité et pour la possibilité de lui donner une seconde vie. Notre baseline, c’est toujours la mode à petits prix, mais avec la durabilité en plus », affirme Ouarda Ech-Chykry.
La transformation du modèle s’accompagne d’une redéfinition du magasin. Le point de vente devient à la fois point de collecte, laboratoire et lieu de service. Kiabi Village, à Lille, en est l’illustration : c’est là que sont testées les innovations avant leur généralisation. « Nous voulons que nos magasins restent des “places du village” où se rencontrent commerce, proximité et expérimentation », rappelle la DG France. Avec 353 magasins en France et 593 points de contact dans 33 pays, Kiabi continue d’étendre un réseau qui reste son socle, même dans un monde digitalisé. L’e-commerce représente environ 15 % des ventes.
Kiabi revendique une vision singulière du retail : innover non pas pour innover, mais pour durer. Chaque nouveau service est évalué dans l’écosystème global : trafic, fidélisation, cohérence de marque, responsabilité. L’enseigne a su bâtir une architecture d’innovation où la rentabilité ne s’oppose pas à la durabilité. « Nous sommes dans une logique de long terme, conclut Ouarda Ech-Chykry. Nous innovons pour créer de la valeur durable, pas pour suivre la mode. Les familles le ressentent, et c’est ce qui fait notre différence. » Kiabi a réalisé un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2024, en progression de +5 % par rapport à 2023, confirmant la solidité de son modèle.