Galeries Lafayette, Beaumanoir, Grain de Malice : trois regards sur un retail ancré et rentable
Galeries Lafayette, Beaumanoir et Grain de Malice partagent un même cap : ancrage local, captation des flux et création de valeur sur le terrain. Trois approches pour répondre aux enjeux de rentabilité, de maillage territorial et d’impact social.

À l’occasion de la matinée de l’Alliance du Commerce, organisée le jeudi 3 juillet à Paris, Alexandre Liot, directeur des opérations des Galeries Lafayette, François-Xavier Cazals, directeur de l’affiliation du groupe Beaumanoir et Jean-Christophe Garbino, président de Grain de Malice ont livré leur vision des implantations commerciales dans un contexte où le retail cherche à concilier performance, proximité et utilité territoriale. Ces dirigeants partagent un constat commun : plus que le type d’emplacement, c’est le flux, la relation client et la capacité d’adaptation locale qui déterminent aujourd’hui les stratégies d’implantation.
Les Galeries Lafayette : capitaliser sur l’affiliation pour mailler le territoire
Le groupe Galeries Lafayette compte 65 magasins en France, dont 19 intégrés et 38 en affiliation, ainsi que 8 magasins à l’international. Un réseau sélectif mais qui repose sur une complémentarité d’approches. « Le monde du grand magasin demande beaucoup d’investissements et de Capex, avec des surfaces immenses, souvent dans des bâtiments historiques et en centre-ville. Nous avons fait le choix de concentrer nos investissements propres sur nos flagships, à commencer par Haussmann, et de maintenir un maillage national via l’affiliation », explique Alexandre Liot, directeur des opérations du groupe. Le vaisseau amiral parisien du boulevard Haussmann s’étend sur 70 000 mètres carrés, accueille 35 millions de visiteurs par an et génère à lui seul près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit environ 20 % de l’activité totale du groupe. C’est un lieu de flux massifs, notamment touristiques, mais aussi un laboratoire pour expérimenter l’innovation commerciale.
Notre stratégie repose sur deux piliers : l’affiliation et l’adaptation locale.
En régions, la logique d’implantation repose sur une adaptabilité locale forte. « Nous avons développé une approche que nous appelons “One store, one story” : un tronc commun, mais une adaptation locale. Metz et Nice n’ont pas la même clientèle, et cela doit se refléter dans l’offre comme dans l’animation commerciale, précise Alexandre Liot. C’est pour cela que nous ne parlons pas uniquement d’ouverture, mais de développement : retravailler l’existant, renforcer notre ancrage. Nous n’avons pas vocation à rouvrir une série de grands magasins. » L’affiliation permet aussi au groupe de bénéficier de relais locaux forts. « L’affilié est un acteur ancré sur son territoire, qui sait ce que veulent ses clients. C’est une richesse pour nous, pas une contrainte. » En 2023, le réseau affilié a représenté 25 % du chiffre d’affaires France du groupe, avec un modèle stable et rentable. Ce modèle de l’affiliation apparaît comme un levier clé de développement et de résilience pour ces enseignes. Il permet de conjuguer puissance de marque et ancrage territorial, en s’appuyant sur des partenaires locaux qui maîtrisent leur environnement commercial.
Beaumanoir : suivre le client, pas les idées reçues sur les zones commerciales
Le groupe Beaumanoir : Cache Cache, Bréal, Morgan, Caroll, Sarenza, La Halle, Vib’s -et plus récemment les marques de Boardriders et Jennyfer- totalise aujourd’hui 2 700 points de vente dans 40 pays, dont environ 2 300 en France, à travers un mix d’intégration et d’affiliation. L’affiliation concerne près de 1 000 magasins. « C’est notre ADN. Roland Beaumanoir a bâti Cache-Cache avec des commerçants indépendants. Il leur disait : ‘Je m’occupe du stock, vous vendez.’ Le modèle s’est construit dans les préfectures et sous-préfectures », souligne François-Xavier Cazals, directeur de l’affiliation.
La manière de développer une marque dépend de son positionnement.
Ce modèle permet au groupe de couvrir à la fois les grandes agglomérations, les villes moyennes et les périphéries. « Chaque segment répond à une cible bien précise. Et selon les segments, les stratégies d’implantation diffèrent. Caroll, par exemple, avec un panier moyen plus élevé, sera plutôt en centre-ville ou en centre commercial bien positionné. La Halle, à l’inverse, se retrouvera plus souvent en périphérie, à côté d’enseignes comme Intersport ou Decathlon. Ces enseignes génèrent du trafic. Nous profitons de leur flux. Nous ne sommes pas allés dans les retail parks par stratégie, mais parce que c’est là que sont nos clientes. » Il précise que les meilleures performances économiques du groupe sont souvent réalisées dans des zones commerciales dites secondaires. « Être à côté d’un Decathlon ou d’un Gemo, dans une zone de flux bien desservie, vaut mieux qu’un centre-ville déserté. »
Parmi les bonnes pratiques revendiquées : un calibrage précis de chaque ouverture selon la typologie locale, le potentiel de trafic et l’environnement marchand. Le panier moyen varie de 25 à 40 euros selon les enseignes, avec une stratégie centrée sur la rotation rapide et la fidélisation. François-Xavier Cazals insiste : « Ce n’est pas l’adresse qui fait la performance, c’est le flux. »
Grain de Malice : miser sur la fidélité et la relation de proximité
Grain de Malice est née en 2007 de la fusion entre Phildar prêt-à-porter et Xanaka. L’entreprise a connu une décennie difficile avant d’être restructurée. Elle a été reprise par Jean-Christophe Garbino avec des associés il y a deux ans. Avec 232 magasins, dont 37 % en centre-ville (soit environ 85 points de vente), l’enseigne revendique une stratégie fine d’implantation au service de la relation client. « Nous comptons en ouvrir encore une centaine. Nous disons souvent : “On peut être partout, mais pas n’importe où”. Nos clientes viennent pour une relation, un conseil, une expérience. Certaines font plusieurs dizaines de kilomètres pour venir en boutique », souligne Jean-Christophe Garbino, président de l’enseigne. Le prix moyen est de 25 euros, et l’enseigne vise une clientèle féminine de 35 à 55 ans, principalement en province. Le réseau est composé à 50 % d’affiliés, avec un objectif assumé de progression sur ce modèle, jugé plus agile. « Nous croyons beaucoup à la méritocratie commerciale. Beaucoup de nos affiliés sont d’anciens responsables de magasin. Nous leur donnons les moyens d’entreprendre, mais avec un accompagnement fort. »
Nos clientes ne viennent pas seulement pour acheter. Elles viennent chercher une relation, un conseil, une expérience.
Le taux de satisfaction client atteint 92 %, selon les enquêtes internes, avec un NPS très supérieur à la moyenne du secteur. Grain de Malice met un soin particulier à former les équipes. La bonne pratique soulignée par Jean-Christophe Garbino : une formation continue en magasin sur la posture conseil, la connaissance produit et l’approche bienveillante. La rentabilité repose sur trois leviers : « Une connaissance fine de nos clientes, une politique de stocks stricte - nous ne surproduisons pas - et un réseau de partenaires ancrés localement. »
Mobilité et accessibilité : des enjeux clés pour les enseignes
Tous les dirigeants s’accordent sur un point : la question de la mobilité reste sous-estimée dans les politiques publiques. « Si vos clientes ne peuvent pas se garer sans risquer une amende, elles ne viendront pas. Il faut arrêter de penser la ville contre les usages », alerte François-Xavier Cazals. Les zones à faibles émissions (ZFE), qui concernent 11 métropoles françaises et s’étendront à 43 agglomérations d’ici 2025, inquiètent les enseignes présentes en périphérie. « Ce sont des mesures conçues sans concertation avec les commerçants », estime Alexandre Liot. Jean-Christophe Garbino rappelle que « 70 % des clientes viennent encore en voiture ».
Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, rappelle que les centres-villes ne pèsent plus que 11 % de la consommation totale, soit autant que l’e-commerce. « Le commerce ne peut plus porter à lui seul l’attractivité d’un centre-ville. Il faut une approche mixte, intégrant aussi le logement, le loisir, les services publics. » Il invite les enseignes à s’engager dans les projets de territoire, mais appelle aussi les collectivités à reconnaître leur rôle. « On valorise beaucoup les indépendants, les halles, les circuits courts. C’est très bien. Mais les enseignes aussi créent du lien, forment des jeunes, investissent. Elles méritent d’être intégrées dans les politiques de revitalisation. » Pour les intervenants, les enseignes doivent aujourd’hui se structurer collectivement pour redevenir force de proposition face aux élus, et peser davantage dans les décisions qui façonnent les territoires.