Stratégie retail

[Portrait] Thierry Cotillard, le rassembleur des Mousquetaires

Par Dalila Bouaziz | Le | Enseignes

Déterminé à façonner l’avenir du Groupe et relever les nombreux défis, son parcours et sa vision au sein du groupe font de Thierry Cotillard le catalyseur du changement au sein des Mousquetaires. Rencontre.

Thierry Cotillard a a bâti toute sa carrière au sein des Mousquetaires depuis 25 ans. - © Sylvie HUMBERT
Thierry Cotillard a a bâti toute sa carrière au sein des Mousquetaires depuis 25 ans. - © Sylvie HUMBERT

Janvier 2023, Thierry Cotillard prend la tête de la Société Les Mousquetaires (SLM), organe de direction du Groupement. Véritable paquebot de la distribution avec près de 4 000 points de vente dans quatre pays européens (France, Belgique, Pologne et Portugal), un volume d’affaires de 36,05 milliards d’euros en 2022 (hors carburant), plus de 3 000 chefs d’entreprise indépendants, 150 000 collaboratrices et collaborateurs, 56 sites de production agroalimentaires. Et dans son giron, les enseignes phares Intermarché et Netto dans l’alimentaire mais aussi Bricomarché, Brico Cash et Bricorama pour le bricolage ; Roady et Rapid Pare-Brise dans la mobilité.

Continuer à exister dans les 10 prochaines années

Une sacrée responsabilité pour ce chef d’entreprise de 49 ans (propriétaire de trois magasins), qui a bâti toute sa carrière au sein des Mousquetaires depuis 25 ans. « J’ai été malheureux pendant un mois, tiraillé entre l’envie d’y aller un jour et le refus le lendemain, se remémore-t-il. Aujourd’hui, je suis sûr d’avoir pris la bonne décision mais prendre cette responsabilité et faire ce choix de vie a nécessité une vraie prise de recul. Je mesure que dans mon mandat, nous sommes peut-être à un virage où il y a des échéances à ne pas louper pour exister demain et transmettre ce magnifique Groupement à la génération d’après. »

Nous sommes à un virage où il y a des échéances à ne pas louper pour exister demain.

Et dans les opportunités à ne pas louper, il y a eu l'accord global signé avec le groupe Casino en avril dernier, en pleins déboires financiers, avec notamment le rachat de 195 magasins (hypermarchés, supermarchés, etc.), dont une première vague de 61 points de vente a été finalisée début octobre (72 autres au 1er semestre 2024 et la 3e vague de 62 points de vente dans les 3 ans à venir), mais aussi le renforcement de leur alliance sur leur centrale d’achat commune et dans les produits alimentaires de Marque Distributeur.

Leclerc et Lidl en ligne de mire

2023 marque une légère concentration dans le paysage de la grande distribution, tant évoqué ces dernières années, avec cet été les rachats des enseignes Match et Cora (groupe Delhaize) par Carrefour. « Le phénomène est inéluctable, tranche Thierry Cotillard. C’est le début d’une trajectoire où progressivement on aura effectivement 7, 6 et peut-être un jour 5 distributeurs sur une échelle de dix ans. Quand on est un groupe d’indépendants comme Intermarché, on veut être sûr d'être dans les 5 qui continueront à exister. » Une conviction forte pour cet ancien dirigeant d’Intermarché qui reviendra plusieurs fois lors de notre entretien. « Les groupes qui atteindront une taille critique, à partir 15-16 points [de part de marché] seront intéressants, mais à partir de 20 points l’avenir d’un groupe est sécurisé, analyse-t-il. Une sécurité permettant de réaliser des plans de transformation sans devoir se dépositionner en prix. »

Si le chef d’entreprise explique que « tout concurrent est respectable et respecté », reconnaissant que Carrefour est un « fleuron de l’industrie française ». Deux concurrents concentrent particulièrement son attention. « Lidl est un modèle qui peut être paupérisant et agressif en prix, pointe-t-il. C’est un compétiteur qui nous fait réagir sur nos lignes de MDD, nos lignes de premier prix. Une compétition intéressante. » Mais en tant qu’indépendant, son regard se porte plus attentivement sur Leclerc, le leader. « Sa dynamique ne s’interrompt pas avec des progressions à 0,8 de part de marché. Ce n’est pas rien. Il reste notre concurrent et néanmoins confrère et ami ! En interne, lorsque l’on cite un concurrent : une fois sur deux, c’est Leclerc avant de parler de Carrefour ou Lidl. »

Les premiers chantiers de son mandat

A la tête du Groupement depuis quelques mois, après une période de flottement lors de la démission de son prédécesseur Didier Duhaupand en octobre 2022 (à la suite de batailles internes sur la stratégie à adopter), Thierry Cotillard s’est attelé à remobiliser les équipes et marteler les fondamentaux.

C’est par le discount qu’on gagnera la partie.

« Le premier semestre a été très orienté sur les opérations de dynamique des trois métiers mais aussi rappeler que c’est par le discount qu’on gagnera la partie, souligne-t-il. La croissance est la priorité des Mousquetaires. J’avais un enjeu très fort d’engagement et d’implication des adhérents, de cohésion des équipes. Nous sommes en train de le réussir. » Et pour cette deuxième partie de l’année, après la France, le focus se fait sur l’international avec notamment l’intégration des magasins Mestdagh en Belgique (ex Carrefour).

Exigence, impatience et embarquement des équipes

Côté management, Thierry Cotillard aime « embarquer les équipes ». « La dimension managériale m’a manqué, admet-il. Si je suis revenu, c’est parce que j’avais aussi besoin de retrouver notre collectif. » Honnêteté, engagement et travail sont ses trois maîtres-mots. « Je suis assez intransigeant, se qualifie-t-il. Impatient aussi donc je peux par moment épuiser certaines équipes par mon niveau d’exigence et d’impatience. Mais si je le fais, c’est pour générer de la performance, donc je l’assume. » 

Un chef d’entreprise toujours animé par son métier, ses clients avec pour mission « d’apporter le mieux-être au plus grand nombre ». « Cette mission originelle, je l’ai à bras-le-corps. »

Un dirigeant médiatique

Très à l’aise en interviews et rompu à l’exercice, Thierry Cotillard est un dirigeant médiatique, aussi bien lors de son passage à Perifem (en pleine crise sanitaire puis avec la mise en place du plan de sobriété énergétique) que lors de sa présidence d’Intermarché (2015-2020). Et aujourd’hui encore, lorsqu’il défend son groupe et la profession face aux attaques sur l’inflation.

« Je crois, et sans en faire une histoire personnelle, qu’il est important que nos enseignes soient incarnées, argumente-t-il. D’abord, pour que les distributeurs puissent s’adresser aux consommateurs dans le paysage audiovisuel ou médiatique français. Et quand on est le 3e acteur, Michel-Edouard Leclerc ne me dira pas le contraire, quelque part cela fait partie du job que d'être présent pour prendre position sur les sujets et occuper l’espace médiatique pour toucher les politiques, les décideurs et pouvoir influer sur les débats publics.  »

« Finir fort 2023 »

Pour le dirigeant, cette fin d’année sera le premier test de son mandat. « L’ambition est de finir fort en termes de prise de part de marché sur l’ensemble de nos métiers. Mais aussi de réussir totalement l’intégration des magasins Casino. Commercialement, nous aurons réussi si en décembre les salariés sont heureux d'être devenus Mousquetaires. Un enjeu et un défi extrêmement importants, comme Bricorama il y a cinq ans. Nous aurons également avancé si nous continuons à tenir la rigueur budgétaire insufflée pour être au service du discount. » La feuille de route est encore longue.

Le rachat de Match et Cora étudié par les Mousquetaires

«  Nous l’avons étudié, indique Thierrry Cotillard, mais nous avons dû y renoncer par l’incapacité dans un groupement d’indépendants à gérer des formats à 8000-10000 m². Nous ne sommes pas des spécialistes du non-alimentaire. Nous avons fait le choix stratégique de renoncer à cette opération de croissance externe parce qu’elle nous mettrait en danger si les exploitations n’étaient pas rentables pour les adhérents. »