Expérience client

Decathlon : quand la relation client devient un levier de croissance


Longtemps perçue comme un poste budgétaire à maîtriser, la relation client change de statut chez Decathlon. Upsell, personnalisation, innovation, data… L’enseigne sportive explore de nouvelles voies pour faire de son service client un véritable levier de valeur. Décryptage avec Christophe Leclerc, directeur de la relation client France.

Chez Decathlon, le service client passe du centre de coût au levier de croissance. - © D.R.
Chez Decathlon, le service client passe du centre de coût au levier de croissance. - © D.R.

Et si la relation client ne se limitait plus à la gestion des irritants, mais devenait une source directe de valeur ? C’est le pari porté par Christophe Leclerc, directeur de la relation client France chez Decathlon. À la croisée de l’IA, du conseil expert, de la personnalisation et du collectif, l’enseigne rebat les cartes d’un métier en pleine mutation. Objectif : transformer une culture historique du client en un moteur business assumé sans rien perdre de sa dimension humaine.

Un changement d’époque… sans rupture de culture

« Ce qui a changé, ce sont les clients. Pas notre promesse. » Pour Christophe Leclerc, il est essentiel de ne pas confondre transformation stratégique et reniement identitaire. Chez Decathlon, la relation client est inscrite dans l’ADN depuis la fondation, en 1976. Mais les modalités d’expression de cette culture évoluent rapidement. « Les clients attendent désormais des réponses instantanées. Cela redéfinit notre manière de penser les échanges, détaille-t-il. Il y a vingt ans, une réponse e-mail sous 72h suffisait. Aujourd’hui, c’est 24h maximum. Dix secondes pour décrocher un appel. Une quasi-immédiateté sur WhatsApp ou Messenger. »

Dans ce contexte, la relation client n’est plus une fonction d’appoint. Elle devient un point de contact stratégique, où se joue une part croissante de la fidélisation, de la conversion et bien sûr de la satisfaction.

Le centre de relation client, un écosystème à part entière

Chez Decathlon, le centre de relation client (CRC) est intégré à l’écosystème de l’expérience client (CX), et fonctionne comme une interface fluide entre les univers physiques et digitaux. « La relation client ne se limite pas au CRC. Elle commence dès que le client entre en magasin, échange avec une hôtesse, un vendeur. Mais au CRC, nous avons une mission spécifique : répondre, conseiller, accompagner… et désormais, vendre », souligne Christophe Leclerc.

Le CRC repose sur une organisation multicanale pilotée par un outil unifié. Chaque interaction (mail, téléphone, messaging, visio) est rattachée à un identifiant client, pour assurer un suivi continu. « Ce qui nous intéresse, c’est la capacité à offrir une expérience sans couture, où le client ne répète pas son problème à chaque contact. »

Visiostore : l’expertise au cœur de l’échange

Le nouveau point d’orgue de cette mutation : le Visiostore, un concept maison inauguré récemment. Ce canal inédit permet aux clients de prendre rendez-vous en visio avec un conseiller expert, dans une salle scénographiée dédiée à une famille de produits : vélo, fitness, ‘wellness’, golf, camping… Chaque salle dispose de ses équipements, d’une régie vidéo autonome, et d’une ambiance fidèle à l’univers produit. « Ce que nous avons voulu recréer, c’est l’expérience du face-à-face magasin… mais à distance. Car certains clients ne peuvent ou ne veulent pas se déplacer, mais ont besoin d’un accompagnement humain, explique le directeur de la relation client.  Pendant la visio, le conseiller peut démontrer les produits, répondre aux questions, accompagner jusqu’à la commande si le client le souhaite. Mais si ce dernier veut réfléchir, il peut aussi revenir plus tard, passer en magasin ou poursuivre avec un autre conseiller. Ce qui compte, c’est que l’échange ait apporté de la valeur.  »

Chaque visio dure 30 minutes. Le client réserve son créneau en ligne, indique ses besoins, et bénéficie d’une démonstration personnalisée, en immersion. Le conseiller peut aller jusqu’à la commande, au paiement, à l’organisation de la livraison. Le tout, gratuitement.

Le Visiostore, espace de 400 m², installé dans les Hauts-de-France, est réparti en salles thématiques pensées comme autant d’univers immersifs.

Jusqu’à 47 % de taux de conversion

Sur des univers complexes comme le vélo électrique, le taux de transformation du Visiostore grimpe à 47 %. Un score élevé, mais logique selon Christophe Leclerc : «  Ces clients ont pris rendez-vous de manière volontaire. Ils sont déjà dans une logique d’achat, avec un besoin bien défini. Nous levons les dernières incertitudes.  » D’autant que les produits concernés sont souvent techniques et impliquants : vélos haut de gamme, appareils de fitness, objets connectés… Mais Christophe Leclerc insiste : « Ce qui pilote le Visiostore, ce n’est pas le chiffre d’affaires. C’est la satisfaction. C’est le seul KPI que j’impose. On ne vise pas la vente à tout prix. On vise le conseil juste. » Les conseillers mobilisés sur ce canal sont des volontaires issus des magasins comme pour les autres canaux.

Néanmmoins, la vente ne doit jamais pervertir le conseil. « Nous ne versons pas de primes individuelles sur les ventes. La rémunération est collective, indexée sur la performance globale du CRC. » Cette posture garantit une forme d’éthique relationnelle : pas de survente, pas d’incitation déguisée. « J’ai entendu des conseillers recommander un produit deux fois moins cher, car mieux adapté au besoin du client, pointe-t-il. Et c’est ce qui, paradoxalement, génère de la confiance… donc de la fidélité. »

Un canal au cœur de l’omnicanalité

Le Visiostore s’intègre pleinement dans la stratégie omnicanale de Decathlon. Chaque fiche produit éligible sur le site comporte un widget de prise de rendez-vous. Le client peut commencer son parcours en ligne, passer en visio pour être conseillé, et finaliser l’achat en magasin. « Ce n’est pas un canal de remplacement, mais un point d’appui. Il ne cannibalise pas les ventes physiques. Il fluidifie le parcours. » Possiblement, certaines visios pourraient être menées depuis les magasins, dans des cabines dédiées. « On mutualiserait ainsi les expertises terrain et à distance. »

Après les vélos, le fitness, certains univers donnent lieu à des innovations inédites : la salle dédiée au camping utilise un casque Apple Vision Pro pour faire visiter virtuellement des tentes grandeur nature, difficilement montables physiquement. «  Le client voit à travers les yeux du conseiller équipé du casque. C’est immersif, bluffant, très efficace.  » D’autres gammes sont en cours d’intégration. Une salle Kiprun dédiée à la course à pied sera lancée en juillet, pour accompagner la montée en gamme des chaussures techniques. Les objets connectés feront aussi leur entrée au second semestre. Une salle événementielle accueillera des sessions collectives limitées à 10 ou 15 participants pour apprendre à régler un dérailleur, entretenir son matériel ou découvrir une nouvelle gamme.

L’IA comme levier… sous contrôle

Avec plus de 80 % des demandes simples automatisées par chatbot, Decathlon est en pointe sur l’IA. Mais refuse toute dérive. « L’IA, c’est un exosquelette : elle renforce, elle ne remplace pas. » Tous les collaborateurs ont été initiés à l’IA, pour comprendre ses usages et ses limites. « Aujourd’hui, l’IA est très efficace sur le niveau 1. Mais la satisfaction reste inférieure à celle d’un humain. Donc on reste vigilants », note Christophe Leclerc. La montée en puissance de l’IA impose aussi une montée en expertise des conseillers. « Le métier évolue : moins de tâches répétitives, plus d’analyse, plus de conseil à forte valeur. C’est à nous d’accompagner ce changement. »

Côté pilotage, Decathlon ne révolutionne pas les KPI (NPS, CSAT…), mais réoriente leur usage. « Ce qui change, c’est le poids qu’on accorde à certains signaux. Les avis externes sur Google, par exemple, sont devenus aussi importants que nos outils maison. » Le temps de réponse devient également un indicateur critique. Et les parcours automatisés sont tous évalués, avec possibilité d’escalade vers un humain. En parallèle, chaque contact est qualifié, consolidé, analysé. « Un seul appel peut suffire à détecter un problème de parcours. Si c’est récurrent, on agit très vite, car on travaille dans le même espace que les équipes digitales. On ne fait pas de reporting : on se lève et on règle. » Decathlon adapte sa personnalisation en fonction des canaux. Sur le digital, elle s’appuie sur les datas. En messaging, elle repose sur le contexte. Mais en visio, elle devient totale. « Le client choisit l’heure, le sujet, le conseiller prépare en amont. C’est une attention exclusive. » Le cadre contribue aussi à l’effet immersif : chaque salle est scénographiée comme un univers produit. « C’est la forme la plus aboutie d’hyperpersonnalisation que nous ayons. »

La satisfaction reste le KPI cardinal, mais la performance commerciale n’est plus un tabou.

Une nouvelle ligne de crête

Peut-on faire du service client un centre de profit ? La réponse, chez Decathlon, est nuancée. Oui, si l’on accepte de considérer la satisfaction comme levier business. Et si l’on assume un rôle de conseil commercial. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’écoute ou de la sincérité. « Ce qui compte, ce n’est pas où la vente est conclue, mais si le client a trouvé ce qu’il cherchait. Le reste viendra. » Une posture lucide, mais ambitieuse, qui résume bien la feuille de route à venir.

Venez échanger avec Christophe Leclerc à Retail Days

RDV les 29 et 30 septembre à Deauville aux Retail Days - © D.R.
RDV les 29 et 30 septembre à Deauville aux Retail Days - © D.R.

Retail Days réunira les 29 et 30 septembre à Deauville 150 décideurs pour échanger sur les nouveaux enjeux du commerce.

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