Sephora : « Notre ambition est d’en faire le programme de fidélité européen »
Élodie Barbé, Vice President Marketing Europe de Sephora, détaille les ressorts de la refonte du programme de fidélité lancée fin septembre. Une évolution pensée pour renforcer l’engagement, nourrir la communauté beauté et préparer un déploiement harmonisé à l’échelle européenne. Entretien.
Vous avez lancé une refonte majeure du programme de fidélité le 30 septembre dernier. Quelle était l’idée directrice derrière cette refonte ?
C’est un renouveau qui intervient plus de 20 ans après le lancement du premier programme, en 2003. Le programme de fidélité a toujours fait partie de l’expérience, du parcours de vie Sephora de nos clients, mais nous avions envie de le faire évoluer. Pour une marque, c’est aussi le reflet de sa singularité, de sa promesse client et de son identité, de son ADN. Nous voulions continuer à faire vivre à nos clients leur passion de la beauté, qui était déjà la promesse initiale, mais en la faisant passer par deux axes plus forts. Le premier, c’est le partage communautaire. Le second, c’est le partage de leur passion pour les nouveautés, avec notre capacité à faire de la curation de nouveautés et de produits.
Quels sont les nouveaux marqueurs ?
Concrètement, nous avons d’abord revu la façon de gagner des points. Il est désormais très simple d’en obtenir. Les points ne sont plus uniquement liés à des mécaniques d’achat du type 1 € = 1 point. Les clients en gagnent aussi lors de leurs visites en boutique : chaque visite, pour un jour donné, donne droit à 5 points de fidélité. Ils peuvent également gagner des points en laissant des ratings and reviews (notations et avis) sur notre site. C’est une manière de partager avec le reste de la communauté beauté leurs insights, leur ressenti sur le test de nouveaux produits et la façon dont ces produits s’inscrivent dans leur routine beauté. Nous avons vraiment voulu installer le programme dans une logique d’engagement et de partage avec la communauté.
Le deuxième axe touche à la manière d’utiliser ces points. Tous les 150 points, le client a désormais le choix : soit il opte pour le bon de réduction de -10 %, qui est ancré dans le programme depuis toujours, soit il choisit un cadeau dans un catalogue de produits associé à son statut. Nous avons un catalogue de rewards pour le statut Bronze, un pour le statut Silver et un pour le statut Or. Ces rewards sont de vrais produits, que nous sélectionnons et travaillons avec nos marques partenaires. Il peut s’agir de mini-size ou de full-size, en fonction des produits et des disponibilités des marques, mais ce ne sont pas des échantillons. Ce sont de vrais produits, et cela change tout. Nos clients peuvent ainsi recevoir un véritable produit en cadeau, découvrir de nouvelles marques. L’objectif est de renouveler ces catalogues de rewards tous les trois à six mois selon les statuts, avec à chaque fois les produits les plus « hot » du moment, les dernières nouveautés, les dernières marques. C’est exactement ce que cherchent nos clients lorsqu’ils viennent chez Sephora : être en permanence dans la découverte des nouveautés, des trends et des nouvelles marques que nous introduisons.
Il existe enfin une troisième façon d’utiliser ses points, qui nous tenait particulièrement à cœur : la possibilité de faire une donation à une ONG. Ce n’est pas encore l’usage le plus fréquent aujourd’hui, mais cela porte un esprit communautaire, un esprit de partage, d’inclusion et de diversité que nous voulions ancrer dans le programme.
Ce nouveau programme a-t-il été déployé partout en Europe ?
Nous l’avons lancé en France, après un premier lancement au Royaume-Uni l’année dernière, sur un modèle légèrement différent. La principale différence, c’est qu’il n’y a pas de -10 % au Royaume-Uni, mais un bon d’achat de 5 pounds, ce qui est une petite spécificité locale.
Notre ambition est désormais de le déployer progressivement dans d’autres pays au cours des prochaines années. L’objectif est d’en faire le programme de fidélité européen, avec une volonté d’harmonisation : une promesse cohérente et identique partout, pour que les clients qui voyagent et découvrent Sephora dans différents pays européens retrouvent le même programme de fidélité.
Quelles premières tendances observez-vous ?
Il est encore un peu tôt pour tirer des enseignements définitifs sur certains KPI, mais les signaux que nous avons sont extrêmement positifs, même au-delà de nos attentes. Sur la satisfaction, d’abord : 70 % des clients interrogés considèrent que le nouveau programme est meilleur que l’ancien. Ils perçoivent une promesse plus forte. Les retours de nos beauty advisors sont également excellents.
Nous avons aussi observé un effet très positif sur le recrutement, avec une hausse de 10 points par rapport à la période équivalente l’an dernier. Il y a un véritable effet de halo et d’attractivité du programme, pas uniquement sur nos clients existants, mais aussi sur l’attractivité globale de Sephora.
Et au-delà de l’accueil du programme, qu’avez-vous observé en magasin et dans l’expérience client ?
Nous avons retravaillé la promesse, mais aussi toute l’identité visuelle. Nous voulions qu’elle soit à l’image de l’esprit de célébration et de festivités de Sephora. Nous sommes donc partis sur des couleurs très pop, sur un discours autour du programme qui anime la communauté beauté. En boutique, le déploiement de cette nouvelle communication a eu un très bel impact. Dans les points de vente, nous avons présenté les rewards tout au long du parcours client. Les produits issus des catalogues de rewards, par statut, ont été mis en scène dans de nouveaux écrins, du début du parcours jusqu’à la caisse. Cela suscite énormément d’intérêt et d’enthousiasme. Et c’est là que la mécanique du programme se met en route et devient une véritable motivation pour eux. Les premiers ressentis et résultats sont donc très positifs. Nous attendons maintenant de voir, sur un horizon un peu plus long, ce que cela donnera sur des indicateurs comme la fréquence ou le panier moyen. Il y a forcément un effet d’annonce et un effet lié au plan de communication que nous avons déployé.
En parallèle, nous avons lancé un canal de dicussion dédié à nos clients sur Instagram, animé par les community managers et surtout par les beauty advisors depuis les boutiques. Les clients sont extrêmement friands de ce nouvel espace d’échange. Ils y découvrent des nouveautés en avant-première, celles à venir. C’est un canal d’information et d’inspiration. Depuis son lancement, nous voyons énormément de clients qui y reviennent régulièrement, qui échangent même entre eux. Il y a un véritable esprit communautaire qui s’y exprime, avec les beauty advisors qui jouent un rôle central pour faire vivre cette passion de la beauté au cœur du programme de fidélité.
Comment fonctionne-t-il ?
C’est très simple : c’est comme lorsque vous allez sur Instagram pour écrire un DM, mais là, il s’agit d’un fil de discussion dédié aux clients, accessible via un lien. On peut le comparer à un groupe WhatsApp, mais sur Instagram. Il est ouvert à tous les clients, à tous ceux qui souhaitent s’y connecter. Il est beaucoup animé par nos beauty advisors, depuis les boutiques.
Comment ce nouveau programme de fidélité s’articule-t-il avec vos autres leviers de marketing relationnel et de personnalisation ?
Nous le plaçons au cœur de notre stratégie marketing. La curation des nouveautés produits fait écho à notre plan d’animation des nouvelles marques et des lancements. Nous construisons les catalogues de rewards main dans la main avec les équipes merchandising, très en amont, parce que ces catalogues sont liés à notre planning de lancement et d’animation des nouveautés avec nos marques partenaires.
Nous avons aussi à cœur de faire vivre le programme sur les temps forts de nos clients et de la marque. Le programme prévoit des missions ponctuelles, par exemple une semaine de points doublés à l’occasion des fêtes de fin d’année. Cela nous permet d’intégrer le programme de fidélité dans les grands moments de l’année, de le rendre dynamique et de créer du rythme tout au long de l’année.
Combien de temps a-t-il fallu pour construire ce nouveau programme ?
Cela s’est fait sur plusieurs années, avec beaucoup d’itérations. C’était un travail extrêmement collaboratif. Pour nous, c’est probablement le meilleur projet trans-équipes que nous ayons mené en Europe. Toutes les grandes fonctions ont été impliquées. Les équipes de l’offre et du marketing, bien sûr, mais aussi les équipes digitales, car un programme de fidélité ne peut exister que si l’on connecte vraiment tous les flux entre eux et si on le fait vivre de manière omnicanale. Nous avons refondu intégralement le compte client sur le digital, pour qu’il soit plus user friendly et qu’il porte la nouvelle promesse. Les équipes supply chain ont été très impliquées, parce que tous ces rewards mis à disposition dans toutes les boutiques représentent une logistique lourde à organiser. Les équipes finance, évidemment, étaient également mobilisées.
Pour nous, c’est probablement le meilleur projet trans-équipes que nous ayons mené en Europe.
Il y a donc eu beaucoup de travail collectif, pendant plusieurs années, pour affiner, tester, ajuster. Un point a été central : travailler avec les beauty advisors et avec les clients. Nous avons mené de nombreuses discussions, des groupes de travail, pour écouter nos clients, écouter nos beauty advisors, échanger sur les idées et nous assurer que, lorsque nous lancerions cette nouvelle promesse, elle s’intégrerait parfaitement dans la réalité de nos boutiques, dans le quotidien de nos clients et dans la façon de faire vivre le programme jour après jour.
Avez-vous envisagé de rendre tout ou partie du programme payant ?
Non. Le précédent programme n’était pas payant, et nous sommes vraiment dans une logique de générosité et de partage de la passion de la beauté. Nous voulions être encore plus généreux avec nos clients, leur transmettre encore plus, les accompagner encore davantage dans leur découverte beauté. L’idée d’un programme payant ne correspondait pas à cette philosophie.
Comment intégrez-vous aujourd’hui l’IA et la data dans vos stratégies marketing ?
En tant que retailer, nous avons la chance de disposer d’une first-party data très riche, que nous utilisons intensivement en marketing pour individualiser le parcours client. Nous travaillons cette individualisation sur le site et sur notre app, pour proposer un parcours et des recommandations produits alignés avec le profil de nos clients, leur appétence beauté, leur historique. Nous travaillons aussi beaucoup la data pour structurer nos audiences média, de façon à adresser les bons messages aux bonnes communautés, tout en restant dans un esprit de découverte et en évitant une communication trop agressive. Nous utilisons cette first-party data sur le digital, sur le média, sur le CRM, pour mieux cibler nos communications et adresser le bon message, au bon moment, au bon client. C’est quelque chose de déjà très ancré chez nous, que nous cherchons à approfondir et à améliorer au fur et à mesure que les technologies évoluent, parce qu’il y a beaucoup de nouveautés et de nouvelles opportunités qui émergent.
Nous travaillons l’individualisation et l’automatisation du CRM et de nos communications, mais nous accordons la même importance à la relation humaine. Dans cette ère de l’IA générative et de la data, nous restons au cœur de la relation avec nos clients, dans la personnalisation mais aussi dans l’individualisation de la relation personnelle. C’est pour cela que nous avons mis autant l’accent, ces dernières années, sur toutes les conseillères et conseillers de vente en boutique. Ils sont formés par la Sephora Université, qui est une véritable école de formation. Elle forme plus de 10 000 personnes par an en Europe. Elle garantit que nos beauty advisors sont toujours au fait des dernières tendances, des nouvelles marques, et qu’ils savent personnaliser leurs recommandations en fonction du diagnostic spécifique de chaque client.
Nous avons en boutique des outils de diagnostic de peau, pour trouver le bon matching de couleur pour les fonds de teint. Nous accompagnons donc la data avec cette relation personnalisée portée par nos beauty advisors. C’est aussi pour cela que nous avons fait un choix de communication fort : depuis ce Noël qui est en cours de lancement, nous avons une stratégie de communication qui les met à l’honneur comme point d’ancrage de la singularité de l’expérience Sephora.
Si l’on parle maintenant du positionnement de Sephora en Europe, comment le définiriez-vous ?
Sephora est un écosystème global de beauté. D’un point de vue marketing, j’ai envie de dire que Sephora est bien plus qu’un retailer : c’est une marque. Et bien plus qu’une marque : c’est une marque culturelle, une Love Brand très ancrée dans le quotidien des clients. Chacun a son histoire avec Sephora, depuis son premier mascara quand elle est adolescente jusqu’à l’évolution de son parcours beauté au fil de la vie. C’est une marque culturelle, parce que nous avons à cœur d’entrer dans les discussions du moment, d’être présents dans les festivals de musique, par exemple l’été, pour être là où nos clients sont, où ils vivent leur quotidien et leurs moments forts, « boostés » en permanence. C’est très important pour nous. Chacun peut vivre sa beauté comme il est chez Sephora. Nous sommes très centrés sur l’expression de soi.
L’esprit de célébration est très ancré. La Fête des Mères, la Saint-Valentin, Noël sont des moments extrêmement importants, parce que nous aimons être présents dans ces moments de fête de nos clients et les vivre avec eux.
Vous parlez beaucoup de « beauty community ». Comment entretenez-vous, animez-vous et amplifiez-vous cette communauté ?
Notre communauté est vraiment multi-facettes. Elle rassemble des clients, des influenceurs, nos marques, nos followers sur les réseaux sociaux. C’est une communauté au sens large, que nous animons en permanence, avec quelques grands rendez-vous. Il y a d’abord Sephoria, un événement annuel dans lequel nous rassemblons les passionnés de beauté, et plus largement la communauté Sephora : la presse, les influenceurs, des clients Gold, mais aussi des clients grand public. Pendant trois jours à Paris, ils vivent leur passion de la beauté, découvrent de nouvelles marques, les nouveautés, redécouvrent des marques déjà connues. Ils vivent aussi un moment d’entertainment, car le parcours de Sephoria est jalonné de moments de découverte et d’animation. Nous sommes un peu la cour de récréation de la beauté à Sephoria. C’est un jalon très important pour nous.
Sur les Champs-Élysées, par exemple, nous allons bientôt tenir un grand dîner sur le tapis rouge, en rassemblant des influenceurs et des beauty advisors pour célébrer et animer notre communauté au moment de Noël. Nous lançons également une « Look Battle » de nos beauty advisors. Nous ouvrons un appel à candidatures à l’ensemble de nos beauty advisors en Europe. Elles auront pour challenge de réaliser un look maquillage sur le thème de la gourmandise et des festivités, qui est la thématique de Noël cette année. À la fin, quatre looks seront sélectionnés et présentés à notre communauté sur les réseaux sociaux. C’est notre communauté qui votera pour désigner le meilleur look, le gagnant de cette battle des beauty advisors. C’est une manière d’animer à la fois notre communauté de beauty advisors, notre communauté sur les réseaux sociaux et nos influenceurs, qui seront aussi impliqués dans ce jury. Nous avons ainsi de nombreuses animations, très rythmées par les temps forts de nos clients.
Comment adaptez-vous votre stratégie marketing aux différences culturelles et aux niveaux de maturité des différents marchés européens ?
C’est un vrai challenge au quotidien. Nous sommes une région qui regroupe environ seize marchés, avec des cultures très différentes. Il faut s’assurer que nous épousons cette diversité culturelle. Il existe une forte disparité entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, entre des marchés très matures, très inspirés des États-Unis comme le Royaume-Uni, et d’autres marchés un peu à part. La première clé de réussite, c’est que les équipes centrales sont elles-mêmes multiculturelles. Dans mon équipe, par exemple, au studio créatif, j’ai une Anglaise et un Allemand à la tête du département, ce qui permet d’intégrer naturellement une diversité culturelle qui reflète celle de l’Europe.
La deuxième clé, c’est le dialogue permanent avec nos marchés. Nous avons la chance d’avoir une communauté marketing très forte et très collaborative en Europe, notamment au niveau des directrices marketing. Nous nous réunissons très régulièrement, nous échangeons en amont des concepts créatifs et des assets, pour nous assurer que nous restons cohérents, ou pour identifier les besoins de variations locales.
La campagne « We Belong to Something Beautiful », notre campagne institutionnelle lancée l’année dernière, en est une bonne illustration. Nous avions une version dans laquelle apparaissaient des drag queens, pour montrer cette diversité de la beauté et des façons de vivre la beauté. C’est une version que nous avons davantage utilisée au Royaume-Uni, où ce type de représentation est très apprécié, et que nous n’avons pas forcément déployée dans tous les pays d’Europe. Nous laissons la possibilité à chaque marché de choisir ce qui est le plus cohérent localement, tout en les impliquant fortement dans le processus créatif et la réflexion sur les activations marketing.
Quels sont les marqueurs de communication qui assurent cette cohérence ?
Nous pouvons résumer cela en deux grands axes de tonalité. Le premier, c’est la célébration. Nous sommes toujours dans une expression festive et joyeuse de la beauté et de la découverte.
Le second, c’est la diversité. Pas uniquement la diversité ethnique ou de genre, mais une diversité liée à la manière dont chacun exprime sa beauté et à sa relation à la beauté. C’est vraiment ce que nous essayons d’exprimer de façon transversale dans tous les marchés. Cela se fait de manière très naturelle, parce que c’est très ancré dans l’ADN de Sephora, et les équipes sont très attachées à ces deux marqueurs.
Les chiffres clés :
• Fondée en 1969 à Limoges
• Acquisition par le groupe LVMH en 1997
• 50 000 collaborateurs
• Présence mondiale sur 35 marchés
• Plus de 3 400 points de vente
• Plus de 500 marques partenaires à travers le monde
• 55 % de l’assortiment est constitué de marques exclusives/en édition limitée
• 74 millions de clients dans le monde