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Data et IA : Comment Decathlon crée de la valeur avec ses données

Par Clotilde Chenevoy | Le | Data

Didier Mamma, vice-président de Data Value Creation et responsable de l’IA Factory chez Decathlon, décortique comment le retailer s’est organisé pour capitaliser sur ses données et les utiliser au service des métiers.

Didier Mamma pilote la nouvelle organisation mis autour  - © D.R.
Didier Mamma pilote la nouvelle organisation mis autour - © D.R.

Quelle est la genèse de Data Value Creation et de l’IA Factory de Decathlon ?

L’idée de départ est de désigner une personne chargée de la création de valeur avec la data. Beaucoup d’entreprises ont un souci : elles ont de la donnée mais ne savent pas quoi en faire. Ou encore, elles ont des data scientist qui développent des algorithmes, mais 80 % reste dans le cahier ou ne passe pas à l’échelle.

Decathlon a inversé les processus en s’interrogeant sur quelle valeur créer et comment la déployer dans les métiers. Depuis le 16 septembre 2020, une nouvelle organisation a été mise en place avec un modèle de chaîne de production. Comme pour le pétrole, il y a un produit brut mais il faut le raffiner pour le transformer en produit utilisable.

Pouvez-vous nous détailler cette organisation ?

Il y a trois blocs : le data lab, le business lab et les fabriques. Sur la partie amont, le business lab va collecter les cas d’usages. Ils deviennent notre base de travail. Nous utilisons une méthode de design thinking pour s’assurer de la caractérisation du problème. Si le métier vient avec un mal de tête, il veut de l’aspirine. Mais si on lui donne sans réfléchir, on peut ne pas corriger la source réelle du problème. Il est impératif de tenir compte du souci réel, de la qualité de la data, de la désirabilité et de la valeur. On a des cas d’usage faisables mais que personne ne veut et inversement. L’automatisation apportée par l’intelligence artificielle et la data n’aura pas les gains attendus sans changer les process.

Nous avons une organisation autour de trois blocs : le data lab qui identifie les cas d’usage, le business lab qui vérifie la possibilité technique et la mise à l'échelle, et les fabriques pour la mise en production.

Une fois que le problème a bien été caractérisé, le cas d’usage bascule vers l’IA lab pour un travail technique. On ne construit pas de stack technique hors sol. Nous avons une approche très darwiniste. Sans aller jusqu’à un système en production, on va démontrer que l’on peut industrialiser, mettre à l’échelle et déployer.

Ensuite le projet passe en fabrique. Nous en avons quatre, spécialisées dans le pricing, l’offre, le client (KYC) et la supply chain. Elles excellent dans la data science et le contexte de leur domaine C’est clé pour avoir des algorithmes pertinents et de qualité.

Comment faites-vous pour embarquer toutes les équipes dans ce projet ?

C’est le plus gros challenge. La technique, la technologie et les maths se révèlent simples à gérer à côté de la conduite du changement. Nous avons compris très vite que le métier avait beaucoup de mal à repenser les process, pour tout un tas de raisons : peur de perdre le contrôle, de se sentir dépassé ou une résistance au changement sans imaginer les gains.

Nous sommes d’ailleurs en train de constituer un Business Transformation Office pour traiter ce volet spécifique. L’objectif est que simultanément à l’identification par le Lab d’un cas d’usage pertinent, nous pourrons vérifier les process mis en place et les compétences utilisées. Pendant que l’on va chercher le modèle et la tech, on va s’assurer que les organisations seront en place et que la conduite du changement aura déjà commencé. Cela facilitera la prise en main par les équipes.

Évidemment, ce n’est pas idyllique, il y a parfois des tensions mais c’est le prix à payer dans la transformation. La manière dont on gère ses tensions et qu’on accompagne les gens est clé. On doit leur démontrer qu’on ne va pas les remplacer. D’ailleurs au lieu de parler d’intelligence artificielle, je préfère le terme intelligence augmentée. L’IA pour l’IA, on s’en moque.

Comment s’assure-t-on de la qualité de la data ?

C’est un travail collectif qui n’est jamais fini. En premier lieu, on a répertorié toutes les données, notamment les plus critiques, en travaillant avec les datas owners. Leur mission est d’identifier, caractériser et renseigner les données dans notre catalogue. On parle de données critiques dès lors qu’elles se révèlent utiles dans plusieurs cas d’usages et on doit s’assurer qu’elles sont bien utilisables.

Dans l’ingestion de la data dans le data lake, nous avons mis en place trois niveaux : bronze pour les données brut, silver pour les datas nettoyées, et gold pour les données agrégées et déjà utilisées. Par exemple, la marge est en gold et le chiffre d’affaires et les coûts sont en bronze. Par ailleurs, nous avons mis en place des indicateurs de performance sur la qualité de la data. Elles évolueront dans le temps pour obliger les fournisseurs de data à augmenter la qualité.

Pouvez-vous nous partager un projet concret ?

Nous avons développé un algorithme pour aider les magasins à anticiper les volumes de commandes à préparer en click & collect afin de mieux gérer les plannings du personnel.

Prenons le cas du click and collect. Avec la crise, nous avons fait face à une explosion du service. Et les clients ont conservé l’habitude de l’utiliser. Cela pose des soucis en magasin pour gérer la préparation des commandes et cela désorganise les plannings car on est sur des flux irréguliers et il est difficile de gérer le personnel. S’il traite les commandes web, il est moins présent face aux clients.

Nous avons donc développé durant la pandémie un algorithme pour calculer sur une vingtaine de semaine le nombre de commandes à préparer. L’outil est désormais déployé dans tous les pays avec une fiabilité de 60 %. Un taux correct car avant nous n’avions rien. Par ailleurs, les performances vont également s’améliorer avec le temps grâce au machine learning. Plus il y a aura d’historique, plus le taux de fiabilité grimpera.

Vous travaillez aussi sur un sujet de pricing. Pouvez-vous le détailler ?

Decathlon est présent sur 60 sports avec 15 000 références vendus dans 60 pays et 2000 points de vente. Cela représente des volumes conséquents et beaucoup de produits à suivre. Nous n’avons pas le choix que d’utiliser l’IA en masse avec de l’automatisation.

Ce projet est plus gros et plus lourd car il nécessite une transformation du métier. Dans l’aérien, il y a des revenues managers très pointues sur la gestion du pricing. Le retail est, lui, plutôt en retard sur le sujet, sans organisation transverse. Nous avons mis en place du dynamic pricing mais les équipes n’ont pas compris l’intérêt et il fallait aussi des gens capables d’apprécier les résultats. Nous sommes donc repartis du besoin des utilisateurs avec, en parallèle, le recrutement d’une personne experte en pricing et en impliquant le terrain.

Le projet, commencé début 2021, prend plus de temps, mais au final mais il y aura une vraie création de valeur lors de son déploiement massif en 2023. Deux ans, cela peut sembler long pour un projet. Mais on parle dans ce cas précis d’une vraie transformation d’entreprise et d’avantages concurrentiels. Dès la conception de nos produits, nous allons pouvoir analyser le marché et identifier à quel prix final il sera vendu. Decathlon est présent sur 60 sports avec 15 000 références vendus dans 60 pays et 2000 points de vente. Cela représente des volumes conséquents et beaucoup de produits à suivre. Nous n’avons pas le choix que d’utiliser l’IA en masse avec de l’automatisation.

Toutes ses données doivent attirer les cyberattaques…

L’activité est intense avec des fluctuations mais elles sont saisonnières. Nous prenons très au sérieux ce sujet. Nous avons engagé un chief security officer en même temps que moi. Les outils ont été étendus et nous avons mis en place des règles pour les équipes. Nous apprenons à chaque attaque et nous renforçons nos défenses. Nous faisons aussi appel à des hackers éthiques pour éprouver nos systèmes. Nous lançons également un projet pour utiliser l’IA pour de la détection de brèches. Mais la sécurité a un coût sur la performance et sur la satisfaction client. Nous devons rester performants sur le temps de réponse d’un site et ne pas dégrader l’expérience client. Le client est un peu schizophrène. Il veut à la fois être reconnu et faire ses achats rapidement mais il demande aussi de la sécurité et de la transparence sur.

Cela pose le débat autour du respect de la vie privée. Le plus important pour un client c’est de savoir quelles données sont audités et comment elles sont utilisées pour quels bénéfices. Avec un droit à l’oubli avec un bouton. Les entreprises se doivent d’apporter ces services aux clients et ne pas juste se contenter de respecter le RGPD.

Nous allons vers de la Business Intelligence self-service car les clients ne veulent pas qu’un produit mais une expérience. Et une expérience c’est un produit et de la data.

Comment vous organisez-vous face à la fin des cookies tiers ?

C’est un vrai sujet car pendant des années on s’est appuyé sur les informations de Google. Nous cherchons des solutions pour comprendre les parcours client, tout en restant en règle avec la législation. Cela nous demande de gros efforts techniques et financiers. L’avantage, comme c’est compliqué pour tout le monde, ouvre d’autres opportunités à ceux qui peuvent innover comme Decathlon.

Nous avons beaucoup investi sur la data et l’IA et nous avons aussi refondu les équipes data analyse par domaine pour accompagner les métiers. Nous avons reconstitué la Business Intelligence (BI) Factory pour aller vers de la BI self-service. Les clients ne veulent pas qu’un produit mais une expérience. Et une expérience c’est un produit et de la data.

Les chiffres clés de Decathlon en 2021

Les chiffres clés de Decathlon en 2021. - © Decathlon
Les chiffres clés de Decathlon en 2021. - © Decathlon