Emma Recco (Ikea France) : « Les formats de centre-ville nous ont fait basculer dans l’omnicanalité »
Par Clotilde Chenevoy | Le | Enseignes
Ikea célèbre ses 40 ans d’existence en France. Emma Recco, directrice de la stratégie et du développement, revient pour l’occasion sur le développement du retailer en France.
Ikea célèbre ses 40 ans de présence en France. Pouvez-vous nous rappeler les grandes dates clés du développement et en quoi le modèle a évolué depuis ?
Ikea s’est implanté en France à partir de 1981, avec un modèle monocanal reposant sur des magasins de grande taille, situés en périphérie des villes, où on pouvait accéder à tout l’assortiment de la maison sous un seul toit. A l’époque, c’était novateur. Les gens venaient trouver de l’inspiration et repartaient avec la marchandise. Soulignons qu’il n’y avait pas de site web à l’époque, les temps de visite étaient ainsi plus longs. Ce modèle a fait le succès d’Ikea jusqu’en 2000. Il y a ensuite eu une très forte expansion entre 2000 et 2010, nous avons ouvert 17 magasins en l’espace de 10 ans ; Soit environ 50 % de notre parc car nous avons 36 points de vente en France.
Parallèlement en digital, un premier site vitrine a été ouvert en 2000, pour devenir marchand en 2006. Au départ, seule une partie de la gamme était disponible, puis l’offre a été étoffée. Nous sommes ainsi passés d’un modèle monocanal à multicanal. La crise sanitaire a été un vrai accélérateur pour le web, la part du digital est montée à 35 % alors qu’elle était de 15 % en 2019. Elle est depuis redescendue mais elle reste supérieure à 2019.
Vous avez aussi transformé votre concept historique juste avant la pandémie ?
En effet, nous avons commencé à développer des formats citadins à partir de 2019. Il y a eu Ikea City à Paris dans le quartier de la Madeleine. Le magasin fait 5400 m² et propose quelques produits à emporter et toute l’offre est accessible en ligne. Puis il y a eu Ikea Décoration, avec 2900 m 2 consacrés uniquement à la décoration et aux accessoires. Nous avons constaté que les Parisiens sont ravis d’avoir un Ikea à proximité. Ikea Madeleine accueille environ 3 millions de visiteurs par an, ce qui, sur cette surface, est quand même assez exceptionnel.
Ces formats de centre-ville nous ont fait basculer dans l’omnicanalité. Cette transformation de monocanal en omnicanal n’est finalement pas une fin en soi mais un moyen de satisfaire les clients qui réalisent leurs achats selon leurs envies du moment. Nous avons constaté une vraie complémentarité entre les canaux. Il y a toujours une grande attractivité du magasin malgré la hausse des ventes en ligne.
Dans cette transformation, quel rôle jouent les magasins pour Ikea aujourd’hui ?
Le magasin reste toujours important, il est d’ailleurs plébiscité par les clients. Preuve en est, après les confinements, les visiteurs étaient nombreux dans nos points de vente. Mais son rôle a évolué. Les clients trouvent beaucoup plus d’informations en ligne. Quand ils se déplacent, ils sont plus préparés et ils viennent pour une raison précise. Soit pour récupérer un produit et il faut alors leur proposer un parcours rapide. Soit cela peut être pour toucher et voir un produit, ou recevoir un conseil. Grâce aux magasins, les clients peuvent vivre une expérience émotionnelle. Tout ne peut pas être retranscrit avec le digital.
Par ailleurs, le point de vente devient aussi une plateforme de distribution. Les volumes de livraison ont augmenté, nous nous sommes dotés d’un outil pour définir quel est le meilleur point de départ d’une commande entre un point de vente et nos entrepôts.
Vous êtes l’un des très rares retailers à faire payer 5 euros le click and collect. Pourquoi ce choix ?
Le principe d’Ikea depuis 40 ans est de proposer des prix les plus bas possibles. Nous faisons notre part sur la conception des produits, et aux clients de faire la leur en récupérant eux-mêmes les articles en libre-service et en gérant le montage. Si on commence à ajouter des services, cela change le modèle. 5 euros, c’est le montant pour traiter la commande par nos équipes et nous ne touchons pas aux prix des articles. C’est le même esprit pour nos services de conception pour la cuisine ou la salle de bain, ou le coaching décoration qui peuvent désormais se faire à distance sur rendez-vous. Par ailleurs, nous avons noué des partenariats avec des plates-formes collaboratives comme NeedHelp par exemple pour proposer du montage aux clients qui le souhaitent. Cette démarche s’inscrit dans une logique servicielle.
Vous testez aussi des formats plus petits, axés sur le service…
Nous avons deux formats qui sont actuellement en test en France. Il y a l’atelier de conception qui propose aux clients du conseil pour créer leur projet pour la cuisine majoritairement mais aussi pour le dressing, la salle de bain. Il reprend la taille et la forme qu’aurait un rayon cuisine dans un grand magasin, soit environ 500m². Les clients peuvent prendre rendez-vous avec un conseiller, voir quelques produits de démonstration comme l’électroménager, et bénéficier d’une aide pour la commande.
Nous allons ouvrir prochainement à Paris Daumesnil un atelier de conception de 600m² qui intégrera un espace immersif de 9m² pour aider les clients à se projeter.
Nous avons ouvert le premier à Nice et nous allons en ouvrir un prochainement à Paris dans le quartier de Daumesnil sur 600m² qui intégrera un espace immersif de 9m² pour aider les clients à se projeter. Cet outil a été testé sur le magasin de Perpignan. Ce format nous permet d’être au plus près des centres d’habitation et en centre-ville, voire dans des centres commerciaux. Les clients ont un espace plus calme pour gérer leurs projets. Mais l’atelier de conception ne permet pas d’achat d’impulsion, ce sont des magasins secondaires.
L’autre format est un point de conseil, qui fait 100 à 150 m² maximum. Comme son nom l’indique, il va accompagner les clients dans leurs commandes ou dans la conception de leurs projets. Les collaborateurs pourront répondre à toutes les questions. Nous en avons six à Marseille, Besançon, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Perpignan. Certains consommateurs sont à plus d’une heure de route du premier magasin Ikea, nous venons renforcer notre maillage avec ces formats.
A quand le magasin dédié à l’économie circulaire chez Ikea ?
Je rappelle en préambule qu’Ikea propose depuis 40 ans un espace de seconde vie dans les magasins, avec la vente de produits d’exposition ou les retours des clients ayant changé d’avis. Depuis 2014, nous allons un peu plus loin car nous achetons les produits Ikea en magasin, en échange d’un bon d’achats. Si on achète un fauteuil à 40 euros, il sera remis en vente à 40 euros. Désormais, ces articles sont aussi disponibles en ligne, les clients peuvent les réserver en magasin.
Nous avions la volonté d’ouvrir un espace de seconde vie dans Paris mais ce projet a été temporisé. Premièrement, nous devons trouver un équilibre économique, ce qui n’est pas évident. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la pertinence de créer un magasin déconnecté d’un point de vente classique. C’est peut-être dommage de se priver du flux que ce service peut générer. De plus, si nous déplaçons les articles des gros magasins vers un autre point de vente dédié, ce n’est peut-être pas si efficient. Notre réflexion porte davantage sur la création d’une solution intégrée dans un magasin. Mais nous sommes convaincus de l’intérêt de ce service. Nous avons questionné nos clients Ikea en leur demandant s’ils avaient acheté au cours des derniers mois un produit de seconde main. 28 % ont répondu oui en 2022, soit 6 points de plus qu’en 2021. Autre chiffre sur le sujet, dans les grands magasins, le chiffre d’affaires de ces espaces atteint 1 %.
Le retail doit faire preuve de sobriété énergétique. Quelles mesures avez-vous ou allez-vous mettre en place pour baisser vos consommations ?
Le plan de sobriété est en cours de constitution. Mais nous avons investi depuis des années dans des panneaux photovoltaïques et des éoliennes pour utiliser de l’énergie renouvelable. Les magasins disposent déjà d’éclairage adaptatif. Deux tiers de nos bâtiments sont aujourd’hui décarbonés et nous avons pris de nouveau engagement pour que l’ensemble du parc le soit. Les projets de photovoltaïques vont continuer et nous allons installer des pompes à chaleur. Par ailleurs, un investissement de 3,5 millions d’euros a été décidé pour revégétaliser les parkings, comme à Dijon où l’on intègre une micro-forêt.
Vous avez aussi pris des engagements RSE sur le dernier kilomètre…
Nous nous sommes engagés à livrer tous nos clients en France en véhicules zéro émission d’ici 2025. Dans quelques semaines, nous allons démarrer la livraison fluviale. C’est un grand projet pour nous que de livrer nos clients parisiens par la Seine.
Dans quelques semaines, nous allons démarrer la livraison fluviale. Les commandes partiront de Gennevilliers pour le quai de Bercy.
Les commandes seront préparées dans notre entrepôt de Gennevilliers et rangées dans des conteneurs spécifiques qui peuvent contenir 10 à 15 commandes. Ils seront acheminés au petit matin sur le quai de Bercy pour ensuite être posés sur des châssis de véhicules électriques. Cette organisation permet d’économiser 400 000 km sur la route par an. En plus de limiter la congestion en ville, cela nous permet d’être beaucoup plus fiable sur les créneaux horaires pour nos clients.
Vos résultats sont en cours de consolidation mais pouvez-vous donner quelques indications sur vos performances l’an passé ? Et comment voyez-vous la fin d’année ?
Notre année fiscale s’est terminée au 31 août, nous attendons donc les résultats définitifs. Nous avons rencontré quelques défis macroéconomiques, avec l’inflation et des problématiques de pénurie. In fine, l’année se termine vraiment honorablement et nous sommes satisfait des chiffres malgré le contexte.
Les soucis d’approvisionnement sont majoritairement résolus, avec un retour quasi à la normale. Le routier fonctionne bien, seul le maritime est parfois un petit peu chahuté mais cela concerne des produits d’accessoire.
Quant à l’inflation et à la hausse des coûts des matières premières et d’énergies, nous n’avons pas d’autres choix que d’augmenter nos prix. Néanmoins, ces augmentations ne sont pas linéaires, nous tenons compte des matériaux et des positionnements prix. Ainsi, nous limitons les hausses sur les produits entrée de gamme pour ne pas pénaliser les ménages ayant déjà un pouvoir d’achat plus faible. Par ailleurs, nous avons adapté nos solutions de financement pour proposer du 30x sans frais depuis avril pour faciliter la vie de nos clients.