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Avec la fin des cookies tiers, le retail media va devenir encore plus rentable

Par Clotilde Chenevoy | Le | Data

Les distributeurs ont accéléré leurs efforts depuis plusieurs années pour structurer une offre de dispositifs publicitaires reposant sur leur data, le retail media. Avec la fin des cookies tiers, prévue pour 2024, ce marché pourrait se montrer encore plus lucratif pour eux. Explications.

Bien connaître ses audiences permet de créer une nouvelle ligne d’activité très lucrative. - © D.R.
Bien connaître ses audiences permet de créer une nouvelle ligne d’activité très lucrative. - © D.R.

Parmi les développements stratégiques des distributeurs, le retail media était déjà plutôt bien classé dans la pile. La commercialisation de dispositifs publicitaires s’appuyant sur la donnée des distributeurs existe depuis plusieurs années ; Amazon l’a créé et domine toujours ce marché aux Etats-Unis comme en France. Dans l’Hexagone, d’après l’observatoire de l’e-publicité, ce segment encore jeune se démarque par son dynamisme. Il ne pèse encore que 11 % de la publicité en ligne et représente 887 millions d’euros, mais il a cru de 30 % en 2022, après une hausse de 41 % l’année précédente ! 

Un marché au potentiel très attractif

Aux USA, cette activité cumule déjà 41 milliards de dollars en 2022. Walmart y a ainsi investi des sommes conséquentes et a engrangé plus de 2 milliards de chiffre d’affaires en 2021 rien qu’avec cette activité publicitaire. D’ici 2025, l’enseigne américaine estime que ses revenus publicitaires contribueront à plus de la moitié de son chiffre d’affaires.

En France aussi, plusieurs distributeurs ont récemment mis les bouchées doubles sur ce levier. Carrefour, qui a lancé sa plateforme au niveau groupe en 2021, Carrefour Links, a par exemple clairement annoncé son ambition de se démarquer sur ce marché lors de la présentation de son plan stratégique, le 8 novembre 2022 :

« Nos données sont une mine d’or, nous en avons très tôt mesuré le potentiel. Avec Publicis, nous créons une jointventure dès 2023 pour proposer nos propres solutions de retail media », a ainsi annoncé Alexandre Bompard, qui espère que ce marché lui rapportera 200 millions d’euros supplémentaires de chiffre d’affaires d’ici 2026. 

Comme ce groupe, beaucoup d’enseignes affichent des objectifs très ambitieux sur ce chapitre. Rien qu’en 2021, pas moins de 36 régies média ont vu le jour note IAB France, parmi lesquelles celles de Boulanger, Westfield, ou encore l’alliance stratégique entre Casino et Intermarché pour monter la régie Infinity advertising. En 2022, les Galeries Lafayette ont également créé leur propre plateforme. Pourquoi un tel engouement ? 

Un taux de marge dépassant 70 %

D’abord, parce que le jeu en vaut la chandelle : le taux de marge moyen de ces publicités dépasse les 70 % en moyenne et peut s’avérer encore plus lucratif, le tout étant d’investir au départ dans des structures et des hommes capables de rendre intelligibles ces milliards de datas brassées par les retailers. 

C’est tout le travail qu’a réalisé le groupe Fnac Darty, qui peut s’enorgueillir d’avoir la base de données adressable la plus riche en France derrière les pure players Amazon et Cdiscount (20 millions de clients adressables sur ces sites et 16 millions en dehors de son écosystème selon la Mobile Marketing Association). En marge des activités de trade marketing, le groupe a créé un catalogue d’offres d’activations publicitaires prenant en compte la segmentation de ses audiences. En parallèle, il s’est équipé en 2019 de 2000 écrans supplémentaires répartis dans 300 magasins du groupe. « Le DOOH (Digital Out-Of-Home) nous permettait de mieux cibler nos campagnes en adaptant les messages selon l’implantation de l’écran, nous explique Alexandra Suire, directrice de cette activité pour le groupe. Sans dévoiler de chiffres, nous avons tout de suite eu une rentabilité qui nous a fait accélérer sur le sujet en allouant plus de moyens. » 

Autre investissement, une équipe créant un trait d’union entre les équipes marketing et commerce est venue muscler la régie du groupe, qui a lancé en plus, en 2021, sorti sa plateforme Myretailink pour faciliter l’achat d’espaces publicitaires. D’autres s’entourent parfois de sous-traitants pour effectuer certaines parties de l’activité de leur régie, dans l’alimentaire notamment.

Récemment, de nouveaux facteurs sont venus renforcer l’attractivité des régies publicitaires des enseignes.

Un écosystème digital plus règlementé

Leurs principaux concurrents et champions historiques de la pub en ligne, Google et Meta, restent hégémoniques mais s’essoufflent. Avec son l’App Tracking Transparency (ATT), Apple a introduit l’obligation pour les applications présentes sur l’Apple Store d’obtenir le consentement de leurs utilisateurs avant de collecter et partager les données de ses clients à des fins publicitaires. De fait, il devient donc plus difficile pour les géants américains de cibler.

En plus, le Digital Services Act, mis en place par l’Union européenne et applicable dès 2023, donne la possibilité aux internautes de ne pas être ciblé sur les marketplaces. Or, segmenter le plus finement possible les audiences pour cibler et optimiser ses budgets publicitaires, c’est justement ce que recherchent les annonceurs. Enfin, l’ultime coup de semonce est porté par Google. Il brandit pour 2024 la fin des cookies tiers, qui permettent de tracer un internaute sur son parcours en ligne. 

Au vu de ce contexte, les annonceurs se tournent donc vers des solutions où ils ont la possibilité d’exploiter des données. Cela tombe bien : les distributeurs en possèdent des milliards ! C’est ce qu’on appelle la first party data.

« La fin des cookies tiers va favoriser la commercialisation de nos solutions ; d’autant plus qu’on permet de cibler près d’un Français sur 4 via notre écosystème », renchérit ainsi Alban Schleuniger, directeur général d’Infinity Advertising. La société regroupe les activités retail media du groupe Casino et Intermarché et assure détenir les datas de 17 millions de porteurs de carte via les enseignes Casino, Intermarché, Franprix et Monoprix. Les marques peuvent de la sorte cibler en fonction d’un tas de données disponibles (critères transactionnels, socio démo, etc.) Pas étonnant, en ce sens, qu’elle prévoit une croissance de 45 % pour 2023 et 2024, alors que les budgets pub des marques devraient être orientés à la baisse au vu de la hausse des coûts de nombreuses matières premières notamment…

Comme elle, les régies l’ont bien compris cette opportunité : en France, 66 % des distributeurs ont investi dans une offre de retail media, selon un sondage d’IAB France réalisé en décembre 2022.