Stratégie retail

Yves Rocher accélère son leadership à l’international avec une stratégie offensive


Guillaume Darrousez partage dans cette interview la vision qui guide l’offensive mondiale d’Yves Rocher. Le dirigeant insiste sur l’efficacité, l’omnicanal et l’expansion géographique, portée par une actualité stratégique : l’entrée de l’enseigne en Inde dès 2026 via Nykaa, le leader indien de la distribution de cosmétiques.

Guillaume Darrousez : "Nous sommes en accélération de notre conquête dermobotanique. - © EDDY BRIERE
Guillaume Darrousez : "Nous sommes en accélération de notre conquête dermobotanique. - © EDDY BRIERE

Comment qualifiez-vous l’année 2025 pour Yves Rocher, en France et à l’étranger ?

Je la juge bonne. Nous sommes en accélération de notre conquête, ce que nous appelons la conquête dermobotanique, et cela vaut autant pour la France que l’international.

Nous maîtrisons l’intégralité de la chaîne, ce qui nous permet d’être plus responsables que beaucoup de marques présentes en pharmacie, tout en restant plus accessibles, car nous ne multiplions pas les marges à chaque étape. C’est essentiel pour nous, parce que cela nous permet de prendre des parts de marché.

2025 sera une année positive ?

Oui. Nous sommes entre 4 et 5 % de croissance à surface égale et taux constant à la fin de l’année sur l’ensemble de nos marchés (1,1 milliard de CA monde en 2024, NDLR), sur notre modèle retail et digital, qui est le cœur de notre stratégie. Nous accélérons sur le retail, et encore plus fortement sur le digital.

Sur la France, nous serons sur une croissance faible. Mais le poids de novembre et décembre est tel, entre 25 et 30 % du chiffre d’affaires, que je ne peux pas aujourd’hui vous dire précisément où nous terminerons.

Quel est votre positionnement aujourd’hui ?

Depuis 66 ans, il a toujours été celui d’une marque naturelle, responsable et efficace. Simplement, nous ne mettions pas assez en avant l’efficacité. Nous étions très perçus comme une marque naturelle, alors même que la naturalité peut être extrêmement efficace quand elle est soutenue par la science de la peau et celle des plantes. Désormais nous avons la capacité de le clamer. Et quand nous le clamons, nous allons chercher des consommateurs qui, jusqu’alors, faisaient leurs achats en pharmacies ou dans des drugstores au Canada, par exemple. Aujourd’hui, le consommateur beauté veut un bon rapport qualité-prix, du naturel perçu comme plus sain, du responsable et surtout de l’efficacité. Lorsqu’il trouve ces dimensions réunies, il choisit votre marque.

Nous prenons des parts de marché en Europe et nous commençons à en prendre en Asie.

Ces trois derniers mois, le marché français est difficile, il est en décroissance. Pourtant, nous faisons de la croissance à surface égale. Récemment, nous avons lancé une campagne de publicité sur notre produit Glow, et sommes tombés en rupture tant le succès a été fort. Si nous faisons de la croissance quand le marché baisse, c’est parce que nous avons un produit efficace, accessible - moins de 30 euros pour un sérum -, naturel et responsable.

Qu’est-ce qui vous différencie des autres acteurs du secteur ?

Notre différence majeure est profonde et structurelle : notre chaîne de valeur via notre modèle « de la plante à la peau ». Nous offrons un rapport qualité-prix avec un niveau de naturalité et de responsabilité qui est nettement supérieur aux autres acteurs, car nous contrôlons tout. Lorsque vous avez vos propres usines, vous pouvez réduire leur empreinte carbone. Quand vous faites fabriquer ailleurs, vous ne maîtrisez pas celle des autres.

Contrôler cette chaîne est un atout incroyable pour Yves Rocher. Nous savons ce que nous mettons dans nos produits car nous cultivons nos ingrédients nous-mêmes. Nous avons 600 magasins en France ; un réseau incomparable. Nous sommes en proximité avec quasiment 100 % des Français, ce qui crée un attachement incroyable à la marque. Ce constat est vrai partout ailleurs, cela a pris 66 ans à construire.

Vous disiez que vous gagnez des parts de marché. Quels sont, selon vous, les trois leviers les plus déterminants ?

D’abord les produits : c’est ce qui explique en partie pourquoi nous performons mieux que la concurrence aujourd’hui. Ensuite, le modèle omnicanal, c’est-à-dire notre réseau retail associé à un e-commerce très dynamique, notamment grâce aux marketplaces. Enfin, l’international, puisque nous prenons des parts de marché dans de nombreux pays, comme au Canada, en Turquie et en Asie.

Lorsque vous associez innovation produit et communication claire, cela crée des cartons. En septembre, en France, Yves Rocher a connu une croissance exceptionnelle en like-for-like, ce qui explique pourquoi nous prenons des parts de marché même dans un marché difficile. Cette recette fonctionne particulièrement bien en France : lorsque vous avez 600 magasins et que vous communiquez, vous voyez immédiatement les effets en point de vente.

Le deuxième levier est effectivement l’e-commerce associé au retail. Nous croyons profondément au modèle magasin associé au digital. Nous sommes numéro un en France depuis 15 ans. Et il est vrai que la croissance provient aujourd’hui davantage du digital que du retail, car nous avons accéléré très fortement sur les marketplaces, notamment en Asie : Shopee, Lazada et TikTok Shop sont des relais considérables. Nous avons aussi lancé des marketplaces au Mexique et au Canada, notamment via Amazon ou Mercado Libre. Nous y faisons plus de 30 % de croissance, ce qui modifie profondément la structure de notre e-commerce, qui prend un poids très significatif.

Le troisième levier est l’international, avec un très gros focus sur l’Asie du Sud et du Sud-Est : l’Inde, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et le Vietnam, où nous investissons beaucoup. L’international représente 60 % de notre chiffre d’affaires. L’Asie ne représente encore que 3 %, alors qu’elle pèse 40 % du marché mondial de la cosmétique. Nous avons donc une marge de progression considérable.

Vous allez vous implanter en Inde ?

Nous avons signé la semaine dernière avec un partenaire qui s’appelle Nykaa. C’est le n° 1 du digital et des magasins en Inde pour la distribution de produits cosmétiques. Ils détiennent environ 50 % du marché. Le lancement est prévu pour le printemps 2026. Ce sera un lancement à la fois digital et magasin, fidèle à notre modèle omnicanal.

Nous allons associer les deux leaders de leur marché.

Quelle gamme allez-vous développer en priorité, et quelles sont vos ambitions sur ce marché ?

Le marché indien représente environ 21 milliards de dollars. Il est très fragmenté. Le retail spécialisé est très peu développé. Vous n’avez pas de magasins comparables à un Yves Rocher France. Vous avez des pharmacies, des magasins Nykaa qui ressemblent à des « petits Sephora », et l’e-commerce qui pèse déjà 15 % et croît très vite.

Les catégories les plus intéressantes pour nous sont le soin visage et le soin capillaire, deux catégories où l’efficacité est déterminante et en forte croissance. Le soin du visage croît à 14-15 %, alors que le marché global croît à 10 %. Le segment du naturel surperforme encore davantage. Nous sommes donc idéalement positionnés. Nous serons présents dans 30 à 40 magasins dans un premier temps. Ils en ont 275. En fonction des résultats, nous pourrons augmenter ce nombre.

Yves Rocher n’était jamais allé en Inde ?

Il y a eu des tentatives, mais elles n’ont pas fonctionné parce que nous n’y sommes pas allés avec le bon positionnement, ni avec un partenaire adéquat. Cette fois-ci, nous co-investissons avec un acteur extrêmement solide, qui partage en plus des valeurs familiales, puisque la société est dirigée par une famille.

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’aller sur ce marché ?

Le marché est immense, il est en croissance, et les consommateurs, en particulier les 25-35 ans, demandent de plus en plus des produits efficaces, naturels, responsables et accessibles. C’est exactement notre proposition. Le timing est parfait et nous avons trouvé le bon partenaire.

C’est le 4e marché mondial. Yves Rocher n’y était pas et nous n’irons pas en Chine. L’Inde est donc essentielle. Nous gagnerons mécaniquement des parts de marché au niveau mondial. C’est un partenariat ultra stratégique des deux côtés. L’Inde est un marché en plein boom qui n’a pas notre proposition.

Qu’avez-vous appris des marchés asiatiques qui pourrait transformer votre manière de penser le retail en Europe ?

En Asie, il faut apprendre vite, se tromper vite et pivoter vite. Vous ne pouvez pas réfléchir pendant des mois. Si TikTok Shop est énorme, il faut y aller. Nous avons explosé très vite dans un pays sur le capillaire. Nous avons donc essayé dans d’autres pays, et cela a fonctionné. Si cela n’avait pas fonctionné, nous aurions pivoté. C’est pareil pour les instituts. Nous avons le plus grand réseau d’instituts en France, mais nous avons aussi un réseau en Asie. Le marché asiatique du massage est très avancé. Nos massages traditionnels français n’ont pas suffi. Nous avons pivoté vers des approches plus techniques, avec des machines type LPG. Et là, cela a explosé.

En Asie, si vous ne bougez pas vite, vous êtes copiés très vite. C’est l’Asie, et non plus les États-Unis, qui dicte désormais les tendances.

Et concernant le marché turc ?

C’est même notre 2e marché. Fin 2023, nous étions 5e. Fin 2024, nous sommes passés 3e. Je pense qu’à la fin de cette année, nous serons n° 2. Et d’ici douze mois, je suis convaincu que nous serons n° 1, parce que notre positionnement coche toutes les cases pour les consommateurs turcs. La dynamique est très forte.

Vous avez l’ambition de doubler la part du digital en cinq ans. Quels progrès avez-vous faits en 2025 ?

D’abord, le digital en propre, sur nos sites ou via les marketplaces. Toutes les plateformes comme Amazon, Shopee, Lazada, TikTok Shop progressent fortement. Notre propre marketplace accélère aussi, particulièrement durant cette période de Noël.

Deuxième accélération : nos partenaires. Nous sommes présents dans 91 pays, mais nous n’avons pas des filiales partout. En Indonésie ou en Arabie Saoudite, par exemple, nous travaillons avec des partenaires. Jusqu’ici, ils faisaient essentiellement du retail. Nous les avons aidés à développer le digital. Cela crée une accélération très forte, car ils se mettent eux aussi sur les marketplaces.

Et en France ?

Nous ne sommes pas présents sur les marketplaces externes, principalement en raison de notre réseau où la franchise est importante. Notre marketplace interne, en revanche, croît très fortement. Elle représente maintenant un chiffre conséquent.

Nous avons 80 marques, 3 500 références. Nous pensons être au bon niveau de nombre de marques. En termes de références, nous pouvons encore monter. Cette marketplace sera ensuite déployée en Europe entre 2026 et 2027. Aujourd’hui, la part du digital se situe entre 12 et 13 %. Au niveau mondial, nous sommes entre 17 et 20 %, avec une forte accélération en Asie. En Europe, nous sommes entre 12 et 15 %.

Quels enseignements tirez-vous de votre marketplace ?

Le bilan est très positif. Les partenaires sont très satisfaits ; nous n’en avons perdu aucun. Les clients aussi. Les marques qui fonctionnent le mieux autour de Noël sont celles du cadeau et de l’univers masculin. Cela vient combler notre faible offre homme.

Nous enregistrons 50 millions de visites par an et 1,5 million de commandes annuelles.

Sur le reste de l’année, les marques qui performent sont celles des compléments alimentaires, un segment où nous ne sommes pas présents. Elles cartonnent chez nous et nous poussent à élargir la marketplace à l’Europe. Certaines petites marques font une très grande partie de leur chiffre d’affaires total grâce à nous.

Pourriez-vous intégrer physiquement des marques dans vos magasins ?

Je suis très ouvert à cette idée. Yves Rocher a une formule magique : aussi efficace que les dermobrands, tout en étant responsable, naturel et accessible. Il faut vendre cela aussi en dehors de nos murs. Nous en avons fait l’expérience au Canada, où nous sommes sortis pour la première fois de notre modèle intégré. Et c’est une très bonne expérience.

La limite aujourd’hui est la place dans nos magasins. Mais sur des catégories où nous sommes faibles l’homme, les compléments alimentaires, cela pourrait arriver.

Pourquoi avez-vous lancé TikTok Shop en Asie mais pas en France ?

Parce que nous privilégions les zones où la taille de l’opportunité est la plus grande. Se lancer sur une marketplace nécessite des investissements humains et financiers. L’Asie est une zone ultra stratégique où TikTok Shop pèse extrêmement lourd. En France, les volumes sont encore très faibles. Le jour où cela décollera vraiment, nous nous poserons la question d’y aller. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Nous avons plus intérêt à investir en Asie, aux États-Unis et en Angleterre qu’en France pour le moment.

Dans des pays comme l’Indonésie, le Vietnam ou la Thaïlande, TikTok Shop peut représenter plus de 50 % du digital, ce qui est logique en Asie où les marketplaces représentent souvent plus de la moitié du business digital. Aux Etats-Unis, nous n’y sommes pas encore, mais nous pourrions y être d’ici un ou deux ans.

Au Canada, où en êtes-vous ?

Nous sommes chez Shoppers Drug Mart (Pharmaprix), le n° 1 des drugstores beauté au Canada. Nous avons commencé par le Québec, nous sommes aujourd’hui à Toronto, au global dans 120 points de vente et l’objectif est d’être dans 500 magasins en 2026. Ils en ont 1 500 au total. Les résultats sont excellents. Nous y vendons principalement du soin visage, du capillaire et des produits plus experts dans le body care et le sun care.

Et aux États-Unis ?

Nous sommes dans l’épure du plan, mais le chiffre se fait presque exclusivement via le digital. Nous développons l’abonnement et le « try before you pay », où le client peut essayer avant d’acheter. Cela fonctionne très bien. Le retail sera difficile ; le développement sera essentiellement digital. Nous irons aussi sur TikTok Shop et Amazon, ce qui ouvre un énorme potentiel.

Venons-en au réseau français. Avez-vous lancé une modernisation du parc ?

Dans la conquête que nous avons démarrée il y a un peu plus d’un an, nous allons accélérer encore cette conquête grâce aux investissements supplémentaires accordés par les actionnaires. Ces investissements concernent la communication et la rénovation du parc.

Nous allons rénover environ 200 points de vente en cinq ans.

Sur les longs formats, cela concernera principalement nos 80 magasins en propre et ceux en location-gérance (370). Les 150 magasins de nos franchisés renouvellent également de leur côté.

Vous augmentez aussi vos investissements marketing ?

Oui. Je ne peux pas vous donner le détail, mais dans les cinq prochaines années, nous investirons 100 millions d’euros dans un plan qui inclut les rénovations et les investissements médias. Nous investirons massivement sur deux catégories : le soin visage, où nous sommes déjà n° 1 en France, et le capillaire, où nous avons l’ambition de le devenir. La façon d’investir dépendra de la maturité média du pays. En Turquie ou au Maroc, la télévision peut être très compétitive. En Asie, le digital est souvent moins cher que les médias traditionnels. Globalement, nos investissements seront de plus en plus digitaux. La campagne Glow en France était 100 % digitale.

Quel a été le pari stratégique le plus risqué que vous avez pris en 2025 ?

La refonte de l’offre commerciale en capillaire. Notre politique habituelle est d’avoir des remises importantes pour les meilleurs clients, entre -30 % et -50 %. Cela fonctionne très bien pour fidéliser. Mais un nouveau client, surtout dans la génération Z, peut trouver nos prix élevés en magasin et ne pas être attiré par de fortes promotions qui, pour eux, peuvent décrédibiliser le produit. Nous avons donc réduit les prix et la promotion sur cette catégorie, tout en associant cela à une campagne de communication.

Les résultats sont extraordinaires : nous faisons plus de 20 % de croissance sur le capillaire en France cette année.

Les chiffres clés :

En France :

• N°1 de la beauté (Kantar)


• 95 % de la fabrication en France


• Plus de 600 magasins en France et 2 500 dans le monde


• Près de 8 millions de clientes en France, 20 millions dans le monde


• 2e marque préférée des 18-35 ans (YouGov), derrière Sephora et devant Nivea


• +20 % de croissance des ventes capillaires sur les 6 derniers mois

International

• Turquie : deuxième marché après la France, +44 % de croissance en 2024 (présence depuis 2000)


• Asie : 17 % du CA provient du digital, une part en forte progression


• Canada : près de 120 magasins aujourd’hui, objectif de 500 magasins Pharmaprix d’ici fin 2026


• Marché indien de Hygiène Beauté : estimé à 21 milliards d’euros, attendu à 39 milliards d’euros d’ici 2030