Les Mousquetaires : « Nous voulons créer l’événement mensuel du bricolage »
Dans un marché du bricolage en repli, Pascal Prugneau, président d’ITM Equipement de la maison des Mousquetaires, veut reprendre la main. Prix offensifs, montée en puissance des marques propres, digital relancé et nouveau concept magasin : il active tous les leviers pour affirmer leur ADN de discounter et créer “l’événement mensuel” du secteur.

Dans un contexte de marché en repli, quelle feuille de route avez-vous définie pour accompagner la transformation de vos enseignes ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions en juin 2024, notre feuille de route s’est imposée rapidement, dans un contexte de marché très particulier. Pendant plus de vingt-cinq ans, nous avons connu une croissance continue dans le bricolage. Aujourd’hui, cette dynamique s’est arrêtée, et nous ignorons encore à quel niveau elle va se stabiliser. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le marché était en recul de 2,36 % fin avril. Cette baisse n’est pas spectaculaire, mais elle traduit une tendance de fond. Et surtout, nous manquons de visibilité. Face à cela, nous avons choisi de revenir à l’essentiel : le commerce, le prix, le client.
Nous avons donc lancé un plan en deux volets. D’abord, des actions à effet immédiat. Dans un marché où le pouvoir d’achat est sous tension, le prix reste un élément déterminant. Nous savons aussi que le bricolage entre dans une phase que l’alimentaire a déjà traversée : une intensification de la guerre des prix. Nous observons depuis le début de l’année une forte agressivité commerciale de nos concurrents : sur la communication, les promotions, les campagnes médias. Notre réponse est claire : reprendre la parole fortement, en appuyant notre ADN de discounter. Nous avons lancé une mécanique simple et percutante : chaque mois, un produit emblématique à un prix jamais vu sur nos quatre enseignes : Bricomarché, Bricorama, Brico Cash et Tridôme et soutenue par une prise de parole dans la presse quotidienne régionale et à la radio. Ce plan de relance commerciale est pensé comme un cycle récurrent, avec un produit fort chaque mois, choisi pour son impact prix et sa lisibilité pour le client. L’objectif n’est pas de faire de la promotion ponctuelle, mais de réinstaller dans l’esprit du consommateur que nous sommes les mieux placés sur les prix, avec une vraie régularité.
En parallèle, le second volet de notre feuille de route vise à réaffirmer qui nous sommes. Historiquement, nous sommes des discounters du bricolage. Et cela passe notamment par une montée en puissance de nos Produits de Nos Marques (PNM), un autre pilier stratégique sur lequel nous investissons fortement.
Vous avez évoqué les PNM comme un levier stratégique. Cela signifie-t-il que vous allez retravailler l’ensemble de vos gammes ?
Tout à fait. Cela passe d’abord par un réalignement tarifaire : certaines références ne sont aujourd’hui pas suffisamment décrochées des marques nationales alors qu’elles proposent un niveau de performance équivalent. Notre objectif est clair : nos PNM doivent systématiquement offrir un avantage prix lisible pour le client.
Certaines réussites nous confortent dans cette voie. En peinture, notre marque Nuance est un très bon exemple, qui rivalise pleinement avec les grandes marques nationales. En motoculture, notre marque Bestgreen fonctionne également très bien. Nous voulons reproduire ce modèle dans tous les secteurs où cela est pertinent. Cela signifie retravailler certains produits, en développer d’autres, mais aussi questionner certaines gammes. Si une PNM ne répond pas à un besoin réel, il est inutile de la maintenir. Ce que nous voulons, ce sont des marques qui apportent une vraie réponse au client, une alternative efficace et crédible au bricolage cher.
Aujourd’hui, les PNM représentent environ 20 % du chiffre d’affaires. Nous visons un minimum de 30 % d’ici deux à trois ans.
C’est un chantier de fond, dans lequel nous allons investir fortement, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce travail est déjà lancé. Nous avons commencé par abaisser les prix de notre électroportatif. Aujourd’hui, les PNM représentent environ 20 % du chiffre d’affaires. Nous visons un minimum de 30 % d’ici deux à trois ans. Cela suppose d’aller vite. Nous devons être extrêmement réactifs pour atteindre cet objectif dans les délais.
Vous évoquez la stratégie de prix très offensive. Ne craignez-vous pas un effet boomerang, comme dans d’autres secteurs ?
Pendant plusieurs années, les Français ont connu une inflation marquée, notamment sur les produits du quotidien. Même si cette inflation s’atténue, les arbitrages budgétaires sont toujours là. Dans ce contexte, nous estimons que notre rôle, en tant qu’enseigne de bricolage, est de permettre à nos clients d’accéder à des prix plus abordables, sans renier la qualité.
Il ne s’agit pas d’un repositionnement opportuniste, mais d’une nécessité. Le bricolage est devenu trop cher pour certains. Notre réponse, ce n’est pas de brader ou de dégrader l’offre, mais de proposer une gamme plus étendue, avec des points d’entrée prix plus accessibles, notamment via nos produits de nos marques. Nous devons pouvoir offrir à nos clients un arbitrage réel : s’ils souhaitent un produit performant à moindre coût, ils doivent pouvoir le trouver chez nous.
Cette approche ne se limite pas aux premiers prix. Elle touche aussi des tendances de fond comme la seconde main ou la location. Il y a quelques années, un particulier n’hésitait pas à acheter une perceuse pour faire trois trous dans l’année. Aujourd’hui, il va plutôt chercher à la louer ou à l’acheter d’occasion. Et nous devons accompagner ce changement de comportement. C’est ce que nous avons commencé à faire avec notre partenariat avec Loxam, et que nous allons amplifier dans les prochains mois avec de nouvelles offres autour de la seconde vie. Ce sont des solutions qui n’étaient pas disponibles auparavant dans le bricolage, mais que notre modèle de magasin de proximité rend désormais possibles.
Notre ambition est donc claire : rester fidèles à notre ADN de discounter, en développant toutes les formes d’alternatives au neuf et au cher, qu’il s’agisse de premiers prix bien placés, de location ou de produits reconditionnés.
L’alliance avec Adeo sur les achats a beaucoup fait parler. Où en êtes-vous exactement et en quoi consiste cet accord ?
L’accord que nous finalisons avec Adeo ne concerne qu’un point précis : il s’agit d’un accord de sourcing sur une partie de leurs références en premiers prix, les « no name ». Il n’est pas question d’un partenariat global, ni d’une alliance stratégique plus large. C’est un simple levier d’optimisation de nos achats sur une gamme de produits bien identifiée.
Par ailleurs, nous travaillons également sur d’autres axes de massification, notamment avec nos homologues portugais et polonais de Bricomarché. Et plus largement, nous allons renforcer notre collaboration avec Arena, l’alliance d’achat européenne dont nous sommes membres fondateurs. Arena est la deuxième alliance d’achat du bricolage en Europe, derrière Adeo, et la quatrième mondiale. L’objectif est clair : acheter mieux pour rester compétitifs sur les prix, tout en conservant la capacité d’investir. Cet accord avec Adeo devrait être finalisé dans les semaines qui viennent.
Est-ce que d’autres leviers font aussi partie de vos axes de différenciation ?
Au-delà du prix, nous travaillons d’autres leviers pour renforcer notre positionnement, à commencer par le service et l’expérience client. Cela passe notamment par une évolution de notre concept de magasin. Nous avions lancé NEC - pour Nouvelle Expérience Client - un concept imaginé pendant la période Covid, et déjà déployé dans plusieurs points de vente. Mais nous avons décidé de le faire évoluer, pour deux raisons principales.
La première, c’est le contexte économique. Le concept NEC, dans sa version initiale, nécessitait un investissement important. Cela pouvait se justifier dans un marché en croissance, mais devient moins pertinent dans une période de régression où chaque euro investi doit être optimisé. La seconde raison, c’est que ce concept manquait de souplesse : il impliquait de quasiment tout refaire dans le magasin, ce qui le rendait difficile à adapter aux configurations existantes.
Nous avons quasiment baissé de 50 % le coût du concept par rapport au NEC.
Nous avons donc revu notre approche pour aboutir à un concept plus agile, mieux adapté à la réalité de chaque point de vente. L’idée est de capitaliser sur l’existant, en conservant certains marqueurs indispensables - ceux qui permettent d’assurer une cohérence d’ensemble - tout en adaptant le reste en fonction des vocations du magasin, de sa taille et de ses forces. Ce nouveau concept est prêt, et nous allons commencer à le déployer. Notre objectif est ambitieux : qu’il soit déployé dans 100 % des magasins dans les cinq ans, soit environ 100 points de vente rénovés chaque année à partir de 2026. Nous avons quasiment baissé de 50 % le coût du concept par rapport au NEC.
Concrètement qu’avez-vous modifié ?
Dans le concept NEC, il fallait systématiquement faire entrer les clients par l’univers décoration et luminaire. Mais, en réalité, nous sommes des magasins de proximité, et chaque point de vente a sa propre logique. Prenons un magasin qui fonctionnait déjà sous l’ancien concept, que nous appelions SPV, pour Singularisation Par Vocation. Il se peut que ce magasin soit très fort en jardin. Dans ce cas, son entrée naturelle est par le jardin, et ce n’est pas du tout gênant de conserver ce parcours-là. La décoration peut arriver ensuite, ce n’est ni choquant pour le client, ni contraire à sa vocation commerciale. C’est même plus cohérent ainsi.
Autre exemple : nous avions, dans le concept initial, placé les luminaires extérieurs dans l’univers jardin. Cela peut avoir du sens dans un magasin de 10 000 m², mais dans un point de vente de 2 300 m², les clients s’attendent à trouver tous les luminaires au même endroit, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. Cela facilite leur parcours, et cela correspond aussi à l’organisation de nos équipes : nous avons des collaborateurs spécialisés en luminaires, et il est plus logique qu’ils soient tous regroupés dans un seul univers dédié. Nous sommes redevenus beaucoup plus pragmatiques.
Vous aviez communiqué l’an dernier sur la franchise avec 15 magasins en 2025. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Le premier magasin franchisé Bricomarché a ouvert en avril car la « prospection » n’a démarré qu’en fin d’année. C’est une vraie réussite. Le magasin fait 2 300 m², et le franchisé est très satisfait. Notre objectif, c’est 50 franchisés. Nous avons parlé d’un horizon 2030, mais j’aurais plutôt tendance à dire que nous irons plus vite.
La franchise n’est pas une nouveauté pour nous : nous avons des franchisés Bricorama, donc nous disposons déjà d’une structure pour les accompagner. Nous avons mis en place une structure dédiée au développement de la franchise, à la fois nationale et régionale. Plusieurs discussions avancées sont en cours.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans l’e-commerce, et quelles sont vos ambitions ?
En agrégant les résultats de nos différentes enseignes, nous atteignons environ 12 % de chiffre d’affaires en ligne, et nous conservons l’ambition de monter à 15 %. Dans ce total, le click & collect représente une part très significative : il pèse 43 % de notre chiffre d’affaires digital.
Lorsque nous avons écrit notre feuille de route, nous avons fait le choix de stabiliser d’abord un certain nombre de sujets, avant de rouvrir le dossier du digital. C’est désormais chose faite : le chantier digital est relancé. Nous disposerons d’une application avant fin 2026. Nous n’en avons pas à ce jour, mais c’est une priorité clairement actée. L’objectif est simple : qu’à l’horizon 2026, chaque client puisse avoir un bout de Bricomarché dans sa poche.