Stratégie retail

Entrepôt du bricolage : «  Nous avons résisté plus longtemps que le marché  »


Malgré un marché en repli, L’Entrepôt du Bricolage continue de tracer sa route. À l’occasion des 50 ans de l’enseigne, Franck Ougier, son directeur, partage une vision claire : renforcer la proximité, accélérer l’omnicanal, capitaliser sur une culture d’entreprise singulière. Un cap assumé pour gagner des parts de marché et préparer la suite.

Franck Ougier, directeur général de l’Entrepôt du Bricolage. - © D.R.
Franck Ougier, directeur général de l’Entrepôt du Bricolage. - © D.R.

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée pour pour votre enseigne ?

2024 a été particulièrement chahutée. Dans ce contexte, nous nous en sommes plutôt bien sortis. Selon les données de la FMB, le marché a reculé d’environ 4 %, après des années extrêmement florissantes pendant le Covid. De notre côté, nous avons d’abord bien résisté, notamment grâce aux 50 ans de l’enseigne, qui ont créé une dynamique positive. Cette occasion nous a permis de mobiliser l’ensemble de notre écosystème - collaborateurs, clients, fournisseurs - autour de nombreuses opérations commerciales.

Mais nous avons fini par subir la tendance générale observée sur le marché. Nous avons continué à gagner des parts de marché, à hauteur de 2 %, pour atteindre 545 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce chiffre est en légère régression, mais la fréquentation reste positive sur l’année 2024. Le pouvoir d’achat a pesé sur le panier moyen, plus instable.

Qu’avez-vous observé ?

Ce sont surtout les rayons dits « projets » qui se révèlent plus compliqués, aussi bien sur la fin de l’année 2024 qu’en ce début 2025. On constate une forme de fébrilité de la part de nos clients lorsqu’il s’agit de gros projets de rénovation ou de travaux conséquents.

À l’inverse, les rayons de proximité continuent de bien fonctionner. Cela se vérifie également à travers nos points de vente. Nos magasins les plus urbains - ceux qui font entre 3 000 et 6 000 m² - sont ceux qui « souffrent le plus ». À l’inverse, nos magasins plus compacts, parfois de 3 000 m² ou moins, implantés en zone rurale ou semi-rurale, tirent leur épingle du jeu sur cette deuxième partie de 2024 et ce début d’année.

Comment se présente cette première partie d’année ?

On observe les mêmes tendances qu’en fin d’année dernière. Mais globalement, le marché reste en régression sur les premiers mois de 2025. Il y a une forme de régulation qui s’opère après plusieurs années exceptionnelles. Ce n’est pas anormal.

Pouvez-vous rappeler l’histoire de votre enseigne ?

L’Entrepôt du Bricolage célèbre ses 50 ans. L’enseigne a été créée en 1974. À l’origine, elle ne portait pas ce nom : la première enseigne s’appelait La Boîte à Outils, c’est d’ailleurs toujours le nom de notre société. C’est en 1996 que nous avons lancé le premier magasin sous l’enseigne L’Entrepôt du Bricolage, avec un concept de type « soft discount ». Puis, en 2018, nous avons opéré une convergence des enseignes : tous nos points de vente ont alors été réunis sous la bannière unique de L’Entrepôt du Bricolage (aujourd’hui au nombre de 37 magasins).

Comment définiriez-vous aujourd’hui votre ADN ?

Notre premier atout, c’est sans aucun doute la qualité de la relation. Elle nous est systématiquement reconnue par nos clients, nos collaborateurs, nos partenaires et nos fournisseurs industriels. C’est une vraie force, que nous avons construite et enrichie année après année. Cette qualité relationnelle concerne aussi bien l’interne que l’externe. Cela se traduit par la disponibilité de nos équipes en magasin, par la compétence de nos vendeurs, et par une expertise embarquée. Quand vous entrez dans un magasin L’Entrepôt du Bricolage, vous entrez dans un univers industriel. On y trouve des racks, du volume, mais pas une infinité de références. Nous sommes des sélectionneurs exigeants : notre assortiment est bien plus restreint que chez Leroy Merlin ou Castorama.

Nous avons l’ADN du discounter, enrichi par la compétence de nos équipes.

Cette exigence relationnelle se retrouve dans nos magasins comme dans notre centre de relation client à distance. Le groupe Samse, ce sont plus de 340 points de vente en France, principalement dans le négoce de matériaux, avec un transport intégré. C’est un groupe de taille importante, mais qui reste indépendant : l’actionnariat majoritaire est entre les mains des familles fondatrices, groupe centenaire, et des salariés. Cela explique notre ancrage humain et relationnel.

Quelles sont les valeurs fondatrices qui structurent votre culture d’entreprise ?

Si je devais résumer, je parlerais de trois valeurs principales - qui sont d’ailleurs communes à tout le groupe Samse : audace, proximité et indépendance. L’indépendance est bien réelle. Aujourd’hui, un peu plus de 75 % de nos collaborateurs sont actionnaires de l’entreprise. Cette indépendance, nous y sommes très attachés. Par deux fois dans l’histoire du groupe Samse - et L’Entrepôt du Bricolage y a été pleinement associé - elle nous a presque échappé. La première fois, c’était en 1988. La seconde, plus récemment, en 2020. Et dans les deux cas, les salariés et les familles se sont mobilisés pour « reprendre » cette indépendance. On ne l’avait jamais totalement perdue, mais on s’est battus pour la préserver. C’est pour cela qu’on dit souvent qu’elle est chevillée au corps, et qu’elle fait partie intégrante de notre culture d’entreprise. La proximité, elle, se cultive au quotidien. C’est un élément central du management et du leadership portés par l’enseigne.

Comment cela se traduit-il ?

Nous sommes fermés la grande majorité des jours fériés. Il y a quelques exceptions, mais dans l’ensemble, nous tenons à ce que ces journées soient réservées au repos de nos collaborateurs. Bien sûr, cela correspond aussi à une certaine tradition dans notre groupe, mais ce n’est pas seulement historique. C’est surtout parce que nos collaborateurs sont très engagés, et que c’est important pour nous de leur témoigner notre reconnaissance. De la même manière, nous sommes fermement opposés au travail le dimanche.

Enfin, je pourrais vous parler de notre « package social » plus global, par exemple nous sommes actuellement en train d’expérimenter la semaine de quatre jours sur plusieurs de nos sites. C’est un projet en cours, dont nous commençons à tirer des enseignements.

Comment se positionne L’Entrepôt du Bricolage par rapport aux autres enseignes du groupe Samse ?

Historiquement, les enseignes du groupe Samse - au nombre de 23 - sont principalement des enseignes de négoce de matériaux multispécialistes. Vous avez, par exemple, l’enseigne Samse dans le cœur Sud-Est historique du groupe, M+ dans le Sud-Ouest, Doras au nord de Lyon et en Bourgogne-Franche-Comté. Et tout récemment, nous avons fait l’acquisition de Devaux Matériaux, qui est implantée dans le Nord-Ouest de la France.

Chaque enseigne a son histoire propre. Mais il y a eu un événement majeur dans la vie du groupe : en 2021, nous avons lancé une démarche de « vision partagée ». Cette démarche a rassemblé plus de 380 représentants issus de toutes les enseignes du groupe, pour réfléchir collectivement aux grands enjeux à horizon 2030. Cela a permis de dessiner les contours de ce qu’on appelle désormais notre « maison groupe ». Jusqu’alors, nous étions une famille d’entreprises, mais sans maison commune clairement définie. Grâce à ce travail, nous avons construit ensemble cette maison Samse et défini notre futur souhaité à horizon 2030. Cela nous a rapprochés, permis d’unir nos trajectoires jusque-là distinctes, et favorisé de nombreuses synergies entre enseignes, à la fois sur nos métiers et en interne. L’Entrepôt du Bricolage a beaucoup bénéficié de cette dynamique. Nous sommes la seule enseigne du groupe à intervenir sur l’activité bricolage. Toutes les autres sont dans le négoce.

Qu’en est-il du maillage de magasins ?

Depuis plus d’un an et demi, nous avons engagé une stratégie de maillage et de proximité que nous appelons « omni-proximité ». C’est une étape dans notre transition vers un commerce omnicanal. Jusqu’à présent, nous étions dans un modèle multicanal, avec des canaux indépendants. Ensuite, nous avons évolué vers un modèle cross-canal, où les canaux ont commencé à dialoguer entre eux.

Aujourd’hui, nous faisons évoluer notre site marchand pour qu’il devienne à la fois le catalogue et l’outil de vente de l’enseigne. Nos collaborateurs en magasin s’en servent. Il est aussi utilisé dans notre centre de relation client, basé près de notre siège à Grenoble. Ce centre est animé par des collaborateurs issus du terrain : anciens vendeurs, managers… des gens qui connaissent parfaitement l’entreprise et ses valeurs. Côté offre, le site propose environ 20 000 références. En magasin, nous en avons entre 6 000 et 10 000, selon la taille du point de vente. Le site élargit donc l’assortiment stocké, mais sans ajouter de nouvelles familles de produits. Il s’agit d’une offre complémentaire, toujours sélectionnée auprès de nos fournisseurs référencés.

Quelle part de votre chiffre d’affaires est réalisée en ligne ?

Aujourd’hui, le chiffre d’affaires en ligne est d’environ 5 %. Mais notre ambition est claire : atteindre 10 % d’ici 2027. Nous avons beaucoup investi dans notre site, dans le SEO, dans le SEA. Nous avons travaillé sur la qualité des fiches produits, sur la data client… mais nous attendions que notre outil logistique soit pleinement opérationnel avant de pousser davantage.

Parlez-nous de cette nouvelle plateforme logistique ?

C’est un investissement très important. La plateforme fait 56 000 m². Elle est située à La Boisse, au nord-est de Lyon, et a été mise en service fin 2024. Elle ne remplace pas notre ancienne plateforme, située près de Grenoble, qui sera désormais dédiée au négoce de matériaux. La nouvelle plateforme de La Boisse est quasiment entièrement dédiée à L’Entrepôt du Bricolage.

Elle nous permet deux choses majeures : la livraison à domicile partout en France en J+2. Ensuite, une fréquence de réassort bien plus rapide pour nos magasins, qui peuvent désormais être livrés quasiment tous les jours. C’est un accélérateur énorme, à la fois pour améliorer la disponibilité de l’offre en magasin et pour soutenir notre ambition de développement sur le e-commerce.

Avez-vous ouvert de nouveaux magasins récemment ?

Nous venons d’ouvrir un nouveau magasin dans le Jura. Et nous avons également un projet de co-activité en Haute-Savoie. Par « co-activité », nous entendons l’implantation sur un même site de deux activités : le négoce multispécialiste et le bricolage, pour s’adresser à la fois aux professionnels et aux particuliers. C’est un modèle qui prend de l’ampleur dans nos projets. Ce projet est une conséquence directe de la démarche « Imagine 2030 » lancée par le groupe. Jusqu’à présent, chaque enseigne avait son propre modèle de développement. Désormais, ces modèles convergent.

Le magasin ouvrira début juillet. Ce sera un format réduit, de moins de 1 000 m². C’est une tendance qui s’impose à nous : le territoire est de plus en plus maillé, la loi ZAN (zéro artificialisation nette) impose des contraintes - et tant mieux. Ouvrir un magasin de 6 000 m², ou même de 3 000 m², devient très compliqué. Notre stratégie privilégie donc des formats de proximité : les Brico Retrait, la co-activité, et des magasins autour de 1 000 m², auxquels on peut ajouter 1 000 m² de cour extérieure pour les matériaux. C’est un format plus facile à ouvrir, et parfaitement adapté à notre logique de proximité.

Vous avez évoqué le Brico Retrait. Quel rôle joue ce format dans votre stratégie de développement  ?

C’est un format que nous avons fortement développé ces dernières années : nous en comptons aujourd’hui une quarantaine, soit intégrés dans des agences de négoce, soit installés en satellite de nos magasins existants. Le principe est simple : il s’agit d’un point de contact supplémentaire pour nos clients particuliers, qui leur permet de retirer leur commande dans une agence de négoce du groupe. Ce service vient compléter notre présence physique et renforce notre capacité à être au plus près des besoins, même dans des zones où nous n’avons pas encore de magasin.

La démarche Imagine 2030 nous pousse à rapprocher nos modèles de développement, et à mieux tirer parti du maillage très dense du groupe - près de 380 points de vente de matériaux en France.

Vous êtes présents en zones semi-urbaines. Est-ce toujours un choix stratégique assumé ?

Oui, clairement. Nous allons continuer à développer les Brico Retrait, pour multiplier les points de contact. Nous déployons aussi des formats compacts, de 1 000 m² à l’intérieur auxquels s’ajoutent 1 000 m² de cour extérieure. Ce sont souvent des formats implantés à proximité d’un magasin classique existant.

Mais nous ne nous interdisons pas d’aller plus loin. Grâce à notre nouvelle plateforme logistique, nous pouvons désormais assurer une livraison bien plus rapide. Avant, un petit magasin était livré une fois par semaine, ce qui n’était pas suffisant. Aujourd’hui, avec La Boisse, nous pouvons livrer tous les jours, y compris en direct au domicile ou en Brico Retrait. Notre stratégie peut donc s’appliquer à toute la France, même dans des départements où nous ne sommes pas encore présents. Nous continuerons également à maintenir les formats plus classiques, de 1 500 à 3 000 m². En revanche, les formats de 6 000 m² ne font plus partie de notre stratégie. Le format sur lequel nous sommes le plus à l’aise, c’est 3 000 m² avec une cour matériaux de taille équivalente adossée.

Vous avez une double cible, particuliers et professionnels. Comment gérez-vous cette spécificité ?

C’est justement pour cette raison que nous avons changé récemment notre identité de marque. Nous voulions qu’elle soit plus inspirante, plus souriante, plus proche des bricoleurs. Notre nouveau slogan, c’est : « Souriez, vous bricolez. » Il reflète bien notre histoire, notre culture, notre ADN. Notre métier, c’est de mettre du sourire dans un chantier, dans un projet de bricolage, quel qu’il soit. Nous nous adressons à tous les bricoleurs : ceux qui bricolent par passion, par nécessité, ou par envie.

Côté pros, nous faisons aussi évoluer notre dispositif. À partir de juin, nous lançons un nouveau programme de fidélité, qui sera présenté à nos clients professionnels cet été. Un programme existait déjà, mais ce sont les statuts qui changent. Ce sera un tournant important, qui va nous permettre d’être encore plus présents auprès de notre clientèle professionnelle.