Stratégie retail

Groupe Schmidt : « Nous élargissons notre terrain de jeu, sans renier nos fondamentaux »


Directeur général du Groupe Schmidt depuis 2018, Laurent Blum détaille sa stratégie de conquête : accélération à l’international, développement de l’aménagement, nouveaux formats de magasins, IA, B to B, durabilité… et lancement d’une nouvelle enseigne, Spoon & Room, pensée comme un laboratoire.

Laurent Blum : « Nous élargissons notre terrain de jeu, sans renier nos fondamentaux ». - © D.R.
Laurent Blum : « Nous élargissons notre terrain de jeu, sans renier nos fondamentaux ». - © D.R.

Quel bilan tirez-vous du premier semestre 2025 pour le Groupe Schmidt ?

Le premier semestre se passe plutôt bien pour notre groupe. Il faut toujours considérer une forme de décalage temporel : l’année dernière n’a pas été euphorique pour la profession, donc les commandes prises à ce moment-là sont modestes en termes de fabrication cette année. Ce qui m’intéresse davantage, c’est la dynamique actuelle, et les commandes enregistrées depuis janvier sont bonnes. Nous sommes en progression sur nos deux marques, en France comme à l’international. Après une ou deux années plus compliquées pour le secteur, nous avons réussi à mieux résister que la moyenne. Les dernières données de parts de marché de fin mai montrent également une dynamique de conquête.

Depuis que vous avez pris la direction du Groupe Schmidt en 2018, quelles sont, selon vous, les grandes étapes de transformation du groupe  ?

Nous avons défini un plan stratégique simple, articulé autour de la conquête dans trois grands domaines : l’international, l’aménagement, et les nouveaux canaux que sont le B2B et le digital. Ces trois axes permettent de comprendre à la fois le passé et le futur du groupe.

Commençons par l’international. Quelle est la logique derrière cette expansion  ?

L’international est dans notre ADN depuis le départ. Le groupe est né en Allemagne, donc dès l’origine, il a été binational. C’est un groupe qui a su s’internationaliser très tôt, de manière mondiale, avec des magasins un peu partout, mais surtout de manière structurée en Europe de l’Ouest, qui reste le cœur de notre business. Nous avons accéléré, notamment en Espagne, qui est devenue notre première filiale pays et un véritable motif de fierté. C’est un marché qui fonctionne remarquablement bien pour nous.

Nos marchés prioritaires sont aujourd’hui l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et la Suisse. Les pays baltiques sont une région dans laquelle nous avons de fortes ambitions. Mais nous ne sommes pas dans une logique de « plantation de drapeaux ». Ce qui nous intéresse, c’est de construire des positions solides avec une masse critique, pas simplement d’avoir un point sur la carte. Notre stratégie vise à devenir un acteur reconnu dans chacun des pays où nous sommes implantés. C’est vrai pour nos zones historiques, et cela guide également notre approche dans les nouveaux territoires.

Sur la partie « aménagement », comment cette stratégie a-t-elle évolué  ?

Ce pan a été amorcé il y a une quinzaine d’années. L’évolution des modes de vie y est pour beaucoup. La cuisine est devenue une pièce à vivre, souvent ouverte sur le salon ou la salle à manger. Elle n’est plus seulement un lieu fonctionnel, c’est un espace central du foyer. Nous avons donc développé une offre d’aménagement qui déborde largement du périmètre strict de la cuisine : dressing, bibliothèques, rangements pour toutes les pièces. Ce mouvement s’est intensifié au cours des dernières années, notamment après le Covid, qui a accentué les usages hybrides du domicile.

Quand j’ai pris la direction, l’aménagement représentait moins de 10 % de notre chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous sommes au-dessus de ce seuil depuis un ou deux ans, et la croissance continue. C’est un vrai levier de développement. Et ce qui fait notre force, c’est que nous avons les capacités industrielles pour produire ces aménagements sur mesure, de manière efficace et qualitative. Tous les acteurs du marché ne peuvent pas en dire autant.

Enfin, sur les « nouveaux canaux », quels sont les enjeux majeurs pour vous aujourd’hui  ?

Nous parlons ici d’omnicanalité plus que d’e-commerce pur. Nous ne cherchons pas à vendre des cuisines en ligne sans contact. Ce n’est pas notre ADN. Nous croyons au magasin, à la relation humaine. En revanche, nous utilisons le digital à chaque étape du parcours client : avant, pendant et après l’achat. Avant l’achat, le digital est essentiel pour nourrir l’inspiration. Aujourd’hui, presque aucun consommateur ne pousse la porte d’un magasin sans avoir passé du temps à se renseigner en ligne. Nous investissons donc massivement sur les réseaux sociaux, en média digital, et nous développons des outils comme notre site web, qui propose désormais des représentations 3D, une transparence des prix, et même un moteur d’inspiration basé sur l’intelligence artificielle qui génère des rendus de cuisine personnalisés avec un budget estimatif.

Pendant l’achat, nous avons digitalisé le rendez-vous et la co-conception. Le client peut prendre rendez-vous en ligne, ce qui facilite l’organisation pour lui et pour nos équipes. En magasin, nos concepteurs-vendeurs utilisent des logiciels pour co-créer avec le client, avec visualisation 3D, tablettes, écrans, lunettes de réalité virtuelle… Toute l’expérience est pensée pour fluidifier la projection et rendre l’acte d’achat plus simple et immersif. Après l’achat, il y a encore des progrès à faire, mais nous développons un marketing relationnel : suivi de livraison, propositions de nouveaux produits, offres de décoration, de luminaires, de mobilier… et bientôt, de renouvellement d’électroménager. C’est un axe stratégique pour les années à venir.

Et bien sûr, l’autre grand chantier, c’est le B to B. Nous avons lancé cette stratégie il y a un peu plus de deux ans. Il s’agit d’adresser les professionnels (commerçants, promoteurs immobiliers, hôteliers…) avec des solutions d’aménagement sur mesure. Nos magasins grand public peuvent déjà jouer un rôle actif, mais nous avons également lancé un réseau de partenaires spécialisés, que nous allons renforcer dès l’année prochaine.

Quels sont les formats et services que vous expérimentez actuellement pour renforcer l’expérience client en magasin ?

Nous travaillons sur plusieurs axes. D’abord, sur les formats. Nous avons amorcé un mouvement vers des magasins de plus petite taille, plus proches, plus agiles. C’est assez classique dans le retail, mais dans notre secteur, c’est une transformation réelle. Concrètement, nous sommes passés d’un réseau composé essentiellement de magasins de 200 à 300 m² à l’ouverture de points de vente beaucoup plus compacts. Aujourd’hui, notre plus petit magasin fait 27 m². Il s’agit parfois de satellites rattachés à un magasin principal, comme dans des villes de moins de 10 000 habitants, ou dans des grandes villes, avec des implantations complémentaires.

Nous avons amorcé un mouvement vers des magasins de plus petite taille, plus proches, plus agiles.

Cela implique de réinventer complètement le modèle. Ce n’est pas juste une version réduite. Il faut repenser l’agencement, le fonctionnement, les outils. Nous avons dû nous équiper d’outils technologiques capables de déporter l’expérience. Aujourd’hui, un parcours client peut commencer dans un petit magasin proche de chez lui, se poursuivre dans un showroom plus grand à 30 km, et se finaliser à domicile. Et tout son projet suit, numériquement, d’un espace à l’autre. Côté services, nous avons historiquement une proposition solide en matière de garanties. Nous avons aussi accéléré sur les solutions de financement. Nous travaillons également des services autour de la rénovation ou du remplacement partiel. Chez Cuisinella, nous proposions déjà un changement de façades pour des raisons esthétiques, si vous vous étiez trompé sur les couleurs, par exemple. Désormais, nous étudions des offres plus larges, autour de la réparabilité, de la seconde vie. Il s’agit d’un axe à la fois serviciel et éco-responsable  : proposer le remplacement d’une partie abîmée de la cuisine sans tout changer.

Vous avez évoqué votre assistant IA en ligne. Quels sont, selon vous, les cas d’usage les plus prometteurs dans vos métiers  ?

L’outil le plus prometteur, c’est celui qui permet au consommateur de jouer avec ses envies, de créer sa propre cuisine, de se projeter visuellement et cela, sans que nous y voyions une menace. Cela pourrait être vu comme une désintermédiation : une IA qui permet de concevoir et acheter une cuisine entièrement en ligne. Mais ce n’est pas notre modèle. Nous avons un réseau de magasins puissant, et nous souhaitons garder cette empreinte physique forte.

Ce que nous développons, c’est une forme d’inspiration augmentée. L’IA propose des idées selon les goûts exprimés ou détectés. Le consommateur peut intégrer des photos de chez lui, visualiser un rendu réaliste de sa future cuisine dans son espace réel. Ensuite, évidemment, il faut passer de l’idée à la réalité. C’est là que l’expertise humaine reste indispensable : ajustement aux contraintes techniques, choix des matériaux, conseils esthétiques, arbitrages budgétaires. Il y a des clients qui cuisinent cinq fois par jour et veulent un espace ultra-fonctionnel, et d’autres qui veulent surtout une cuisine design parce qu’ils l’utilisent peu. Il faut s’adapter.

Demain, je pense que nous évoluerons vers un modèle où le client arrivera en magasin avec un pré-projet qu’il aura imaginé seul ou avec l’aide de l’IA et où notre rôle sera de le concrétiser, de l’optimiser, de le rendre faisable. Ce sera un prolongement logique de la co-conception, qui est déjà notre pratique dominante aujourd’hui.

Où en êtes-vous du développement du réseau, en France comme à l’international ?

Nous continuons d’ouvrir des magasins, y compris en France. Nous avons encore inauguré une cinquantaine de points de vente l’an dernier. Dans les grandes villes, nous densifions notre présence avec des formats plus petits ; dans les zones rurales ou périphériques, nous allons chercher de nouvelles localisations encore non couvertes.

Nous avons aujourd’hui environ 575 magasins sous l’enseigne Schmidt et 345 sous l’enseigne Cuisinella. Nous poursuivons l’expansion, en capillarité, avec des formats adaptés, notamment ceux de plus petite taille.

Justement, comment articulez-vous votre stratégie multimarques entre Schmidt et Cuisinella  ?

Cuisinella est positionnée sur le cœur du marché des spécialistes. C’est un segment très concurrentiel, avec des enseignes généralistes qui se spécialisent, ou des spécialistes historiques qui renforcent leur présence. Cuisinella est donc sur le terrain le plus bataillé, mais cela nous pousse à innover en permanence. Cette année, nous avons lancé de nouvelles solutions sur cette marque : un îlot central pratique et esthétique, une offre personnalisable grâce à l’impression numérique, des gammes plus accessibles, des outils d’inspiration comme « le Styl’IA ». Et cela fonctionne : nous gagnons des parts de marché.

575 magasins sous l’enseigne Schmidt. - © WWW.LUCFREY.COM
575 magasins sous l’enseigne Schmidt. - © WWW.LUCFREY.COM

Schmidt, elle, se positionne un cran au-dessus, dans le premium. Nous allons plus loin sur le design, les matériaux, la personnalisation.. L’idée, c’est que Schmidt pousse toujours plus loin le beau et le différenciant. Nous avons aussi développé des bois haut de gamme cette année. Et nous travaillons également l’accessibilité, mais adaptée à une cible premium.

Où en êtes-vous du lancement de votre nouvelle enseigne Spoon & Room  ? Quel est son rôle dans l’écosystème du Groupe Schmidt ?

Comme tous les lancements, nous restons discrets sur les chiffres précis. Spoon & Room a été lancée il y a quelques mois, et dans l’univers de la cuisine, le temps est doublement long. Nous avons eu beaucoup de visiteurs : le magasin est situé dans un lieu très passant mais il s’agit souvent de visites d’inspiration. Ce sont des gens qui entrent parce que le magasin est beau, attirant, mais qui n’ont pas nécessairement de projet immédiat. Contrairement à nos points de vente traditionnels, où les clients viennent avec un vrai projet. C’est un investissement sur le futur. Ces visiteurs reviendront peut-être dans six mois, un an, deux ans, lorsqu’ils auront un projet concret. C’est une démarche qui s’inscrit dans le temps long et c’est une chance pour nous d’avoir les reins solides pour supporter ce cycle.

Pour les visiteurs qui avaient un projet, nous avons mis en place des actions digitales pour les attirer. On commence à observer une vraie progression. Ces deux derniers mois, nous avons vendu significativement plus que dans les trois premiers. Ça commence à frétiller, mais nous sommes encore dans une phase modeste.

Au-delà de l’activité commerciale, Spoon & Room est aussi un concept store, un lab, un lieu d’apprentissage pour nous. Par exemple, nous avons très vite réagi à un retour client qui trouvait notre îlot trop grand pour les petits espaces. Résultat : nous avons développé une version plus compacte en un mois là où il nous aurait fallu un an et demi dans notre fonctionnement habituel. Et ce nouvel îlot s’est déjà bien vendu. Autre exemple : nous avons reçu beaucoup de leads, mais pas toujours bien qualifiés. Nous avons donc réajusté le parcours. Cet été, nous mettons en place un programme beaucoup plus ciblé, avec un accompagnement spécifique dès la prise de contact y compris par téléphone avant même la venue en magasin. C’est aussi une marque pensée des clients plus jeunes, plus urbains, plus digitaux qui ne sont pas aujourd’hui le cœur de nos deux marques principales.

Quel rôle jouent les concessionnaires dans votre stratégie ?

Notre enjeu, c’est d’avancer ensemble dans un monde en mutation rapide. Nous avons conservé tout ce que nous faisions déjà : animation commerciale, formations, accompagnement des nouveautés mais nous avons ajouté de nouvelles dimensions. L’aménagement, par exemple, implique de nouvelles gammes produits. La RSE exige de nouveaux discours, portés en magasin. Le digital, en particulier, est un défi pour eux comme pour nous. Il y a le digital national que nous pilotons, et il y a l’animation locale, qui repose sur eux : community management, création de contenus locaux, mise en valeur des actions concrètes sur leur zone.

Nous leur fournissons des outils technologiques toujours plus nombreux : pour la vente, la gestion de la relation client, la visualisation… Mais cela implique un accompagnement constant, car le niveau d’exigence monte. C’est un vrai levier de différenciation si nous réussissons cette transformation ensemble.