Hervé Onfray : « Replacer le magasin et le franchisé au centre de Teract »
Hervé Onfray, directeur général adjoint de Teract Jardinerie/Animalerie depuis fin 2024, revient sur sa première année de mandat. Il détaille les décisions structurantes prises pour recentrer la stratégie du groupe et explique pourquoi il veut remettre le magasin et le franchisé au cœur de son modèle. Entretien.

Depuis votre arrivée à la tête de la jardinerie fin 2024, comment se passe cette presque première année ?
J’ai rejoint une société à mission sur un marché enthousiasmant. Notre slogan « soyons unis par la nature » n’est pas qu’une posture : nous sommes sur des marchés passion. Après huit ans chez Monsieur Bricolage, l’enjeu personnel était d’ouvrir un nouveau chapitre et de participer à un projet. Dès mon arrivée, j’ai voulu me connecter au terrain. Je suis donc allé voir l’ensemble de nos points de vente intégrés et franchisés, Jardiland puis Gamm Vert et les coopératives. C’était essentiel, car Teract appartient au groupe coopératif InVivo. Nous sommes propriétaires de 1 536 points de vente, dont environ 90 % sont franchisés.
J’ai pu constater que nos collaborateurs sont de vrais passionnés, très attachés à leur univers et qui n’imaginent pas travailler ailleurs. Cela m’a conforté dans l’idée qu’il fallait réorienter la politique de la direction vers un modèle plaçant le magasin et le franchisé au centre. Nous avions peut-être eu tendance, dans les années plus fastes, à être trop directifs sur les projets stratégiques - le digital, la marque propre, etc. - et il fallait se reconnecter.
Quelles ont été vos premières priorités stratégiques depuis votre prise de fonction ?
La première a donc été de reconnecter le siège de Teract à ses franchisés et à ses magasins, et de les remettre au centre de tout ce que nous faisons. Ensuite, nous avons pris des décisions de recentrage. Nous avons concentré notre focus interne sur nos enseignes stratégiques : Gamm Vert, Jardiland, et bien sûr Delbard avec ses affiliés. Cela implique des choix : arrêter l’expérimentation Noé, la maison des animaux, céder nos 74 magasins intégrés Gamm Vert aux coopératives, pour que l’enseigne devienne 100 % franchisée. Cette décision stratégique était structurante.
Nous avons aussi adapté notre organisation et nos priorités au contexte actuel. Le marché de la jardinerie est mal orienté depuis deux ou trois ans, et nous devons ajuster nos priorités et notre organisation en conséquence. Nos priorités stratégiques sont claires : continuer à développer la croissance, poursuivre les stratégies déjà pertinentes (marques propres, digital), remettre le magasin et le franchisé au centre avec le client final au cœur, et simplifier nos organisations.
Nous avons trois grandes enseignes (Jardiland, Gamm Vert, Delbard), des services back-office (logistique pour Gamm Vert, service marques propres à Rambouillet, etc.). Nous avions construit une organisation complexe. Il fallait la simplifier. Notre futur déménagement à Montrouge, prévu fin octobre, s’inscrit dans cette logique. En neuf mois, nous avons pris des décisions structurantes : cession des magasins intégrés Gamm Vert, adaptation de l’organisation, déménagement à Montrouge (92). Cela nécessite beaucoup de pédagogie pour expliquer ce que nous conservons des bonnes stratégies précédentes et ce que nous devons réorienter ou reprioriser dans un contexte économique moins porteur.
En neuf mois, nous avons pris des décisions structurantes : cession des magasins intégrés Gamm Vert, adaptation de l’organisation, déménagement à Montrouge.
Vous avez annoncé le retour de Gamm Vert à un réseau 100 % franchisé d’ici fin 2026. Pourquoi ce choix ?
C’est d’abord du pragmatisme. Aujourd’hui, Gamm Vert est déjà à 94 % franchisé : il reste seulement 74 magasins intégrés sur 1 100. La majorité appartient à des coopératives agricoles. Elles gèrent des magasins de proximité très ancrés dans les territoires, en lien avec leur environnement rural, institutionnel, agricole. Gamm Vert est un format particulier : on y trouve du végétal, de l’animalerie, mais aussi des produits du terroir, souvent locaux et agricoles. Ces coopératives sont donc plus performantes que quiconque pour gérer l’enseigne.
Ce que cela change, c’est l’agilité. Le parc est dense, avec encore des zones de développement possibles, notamment en Bretagne ou dans l’Est. Les coopératives savent s’adapter, ouvrir là où une zone commerciale explose, fermer ou regrouper des points de vente quand il y en a trop sur un secteur. Cette agilité est précieuse. Au premier semestre, nous avons enregistré 24 ouvertures de Gamm Vert. 2025 sera probablement notre meilleure année depuis dix ans, avec 40 à 45 ouvertures. Parmi elles, 31 magasins issus de la coopérative Natera, qui rejoint l’enseigne.
Comment articulez-vous la complémentarité entre vos différentes enseignes ?
Deux sont très fortes en notoriété nationale : Gamm Vert et Jardiland. Une est plus locale mais avec une belle image premium, Delbard. Enfin, nous fédérons des affiliés sous la bannière Jardineries du Terroir. Chaque enseigne a un positionnement propre, complémentaire, sans chevauchement.
Gamm Vert, enseigne de proximité, est liée aux coopératives agricoles et au monde rural. C’est l’autoproduction, « faites pousser vos courses ».
Jardiland est une jardinerie de destination, sur de grandes agglomérations. Nous avons un modèle hybride, moitié intégré, moitié franchisé. Aujourd’hui, nous comptons une centaine de magasins intégrés et 73 franchisés, souvent des multi-franchisés historiques très attachés à l’enseigne. Nous gouvernons ensemble, avec un comité Jardiland très actif. Toutes les décisions stratégiques sont prises en concertation.
Delbard est une marque historique, spécialiste de la rose, avec un positionnement plus premium, axé sur l’expertise végétale et le design. Elle attire aussi des professionnels et des paysagistes.
Jardineries du Terroir regroupe nos indépendants affiliés, qui bénéficient de notre centrale d’achats et de nos services, tout en conservant leur identité locale.
Vous avez testé un nouveau concept dans deux Jardiland pilotes, à Saran et Saint-Étienne. Quels enseignements en tirez-vous ?
Le magasin est le nerf de la guerre. Nous avons donc lancé des remodelings pour redonner de la performance et de l’attractivité à Jardiland. À Saran et à Saint-Étienne, nous avons modernisé les magasins : parcours client repensé, marché aux fleurs et serre chaude réorganisés, pépinière optimisée, alimentaire resserré et densifié, offre jardin et déco clarifiée. Les résultats parlent d’eux-mêmes : à Saran, depuis février, nous enregistrons une croissance à deux chiffres, bien supérieure au marché et à nos magasins témoins. Saint-Étienne est aussi en croissance, même si la zone est différente en termes de pouvoir d’achat.
Nous avons donc prévu un plan sur dix ans, avec dix remodelings par an sur notre parc d’une centaine de Jardiland intégrés. L’objectif est clair : améliorer l’expérience client et le chiffre d’affaires au mètre carré.
Quels sont les marqueurs concrets ?
Ils reposent sur trois axes. D’abord, la réorganisation de l’offre et des parcours. Les catégories en croissance sont élargies, les autres resserrées, comme l’alimentaire qui est plus dense et plus clair. Ensuite, l’omnicanalité. Nous avons massivement formé nos équipes, intégrés comme franchisés, au magasin augmenté. Plusieurs POC sont en cours. Sur le plein air par exemple, une partie de l’offre est stockée, une autre seulement exposée en showrooming et commandée en ligne par le vendeur avec le client, livrée ensuite à domicile ou en magasin.
Enfin, les services. Nous testons en conditions réelles le toilettage, le Dog Wash en libre-service, et la demande est telle que certains magasins réfléchissent déjà à en installer deux à l’intérieur et un à l’extérieur. Et surtout, nous avançons en mode test & learn : à chaque POC, nous mesurons, nous apprenons, et nous ajustons avant de déployer plus largement.
Pourquoi avoir développé le format Gamm Vert Village et quel rôle joue-t-il dans votre stratégie ?
Gamm Vert Village, ce sont des magasins de moins de 1 000 m², ultra-proximité, denses et clarifiés, centrés sur l’essentiel : végétal, animalerie, produits du terroir, outils et aménagement, sans plein air d’aménagement extérieur. Après de nombreux tests en 2023 et début 2024, nous avons validé ce format et accéléré son déploiement : 50 remodelings Village seront réalisés cette année, sur un potentiel estimé à environ 350 magasins.
C’est un levier puissant, car Gamm Vert est l’une des plus belles marques du secteur, numéro 1 en points de vente et en chiffre d’affaires. Elle bénéficie aussi d’une image exceptionnelle : meilleure note Google du marché avec 4,71, 75 % de clients très satisfaits, devant Jardiland. Cette proximité crée un attachement très fort, encore plus marqué que dans les grandes jardineries de destination.
Vous avez beaucoup travaillé sur la marque propre. Quels sont vos objectifs aujourd’hui ?
Nous sommes passés de 13 % en 2022 à 26 % en 2025. Nous avons développé quatre marques Passion Nature : Éclose (jardin), Pure Family (animalerie), Invivo Nous Semons (autoproduction) et L’Essence du Terroir (produits alimentaires et terroir). Nous avons beaucoup innové, y compris en créant nos propres recettes en petfood avec notre vétérinaire, ce qui explique les très bons résultats de Pure Family, bien au-dessus de la moyenne du groupe. Mais aujourd’hui, le prisme change : nous restons sur le développement, mais de manière plus pragmatique, avec deux priorités, la compétitivité prix et la rentabilité pour nos franchisés. L’innovation continue, mais davantage en co-développement avec nos fournisseurs horticoles et industriels, plutôt qu’en interne seul. L’ambition est de continuer à croître, sans chercher un chiffre absolu, mais plutôt un poids de marque propre pertinent, entre 30 et 35 %. Nous n’irons pas sur des segments contraires à nos engagements environnementaux. Nous voulons rester cohérents avec notre mission et notre rôle de filière. En parallèle, nous avons lancé une marque économique, une gamme d’entrée de prix très reconnaissable. Cela nous a permis de résister à la concurrence de la grande distribution alimentaire et du discount sur certains marchés très sensibles.
Vous avez aussi annoncé un repositionnement prix. Comment le pilotez-vous ?
Il repose sur trois axes. Le premier est l’entrée de gamme, avec notre marque économique lancée depuis un an et demi, qui propose des produits essentiels à très bas prix. Le deuxième concerne la compétitivité de nos marques propres : moins centrées sur l’innovation, mais davantage sur le rapport qualité-prix, avec un cahier des charges RSE et qualité exigeant, et un rôle fort pour la rentabilité de nos franchisés. Le troisième est le repositionnement des marques nationales : depuis mars 2025, plus de 500 références ont été revues à la baisse. Nous allons désormais communiquer en magasin et sur nos leviers digitaux.
Notre enjeu est clair : être compétitifs en prix, tout en valorisant le marché grâce à la montée en gamme. Nous savons proposer des produits très accessibles, comme une orchidée à 6,90 € ou une jardinière à 9,90 €, grâce à nos accords avec les producteurs. Mais nous savons aussi vendre des plantes d’intérieur haut de gamme à 69 €, car il existe une demande pour ces segments. Il faut également composer avec une concurrence parfois déloyale : les grandes surfaces alimentaires qui vendent du végétal à prix cassés, sans respecter les mêmes contraintes réglementaires et RSE, ou encore les ventes éphémères sauvages organisées dans des gymnases le temps d’un week-end. Nous, nous voulons rester compétitifs tout en tirant la filière vers le haut, car nos producteurs dépendent de nous.
Vous avez refondu jardiland.com et gammvert.fr. Quels changements majeurs et comment associez-vous vos franchisés à cette transformation ?
En 2024, nous avons refondu toutes nos plateformes pour intégrer l’ensemble des parcours : click & collect, livraison depuis nos entrepôts, livraison directe fournisseur et marketplace. L’idée est que nos sites offrent une expérience fluide, tout en gardant le magasin au centre. Le digital doit être intégré et non à côté. Nous avons aussi beaucoup formé nos équipes pour que les vendeurs puissent proposer l’offre web en magasin. C’est ce que nous appelons le magasin augmenté.
Dans un réseau composé à 90 % de franchisés, il fallait repenser le modèle économique : le digital doit aussi être rentable pour eux. Nous avons donc changé la répartition de la valeur. Résultat : ils sont embarqués dans cette transformation, et certains magasins réalisent déjà 5 à 10 % de leur chiffre en digital, d’autres 1 à 2 %. Sur la saison plein air 2025, nous avons même atteint 20 % du chiffre en digital, grâce au showrooming, à l’extension d’offre et à la marketplace.
Où en êtes-vous dans la marketplace ?
Nous comptons aujourd’hui 280 vendeurs et 400 000 produits. Mais nous la voulons responsable : certains vendeurs ont été supprimés car leur offre n’était pas compatible avec notre mission. Nous restons centrés sur nos métiers, le végétal et l’animalerie, sans nous disperser. Cela ne nous empêche pas d’être offensifs : sur les autoportées ou les abris de jardin, nous affrontons directement les grands du bricolage. Nous avons commencé plus tard, mais nous avons l’ambition de devenir très forts.
Quels services développez-vous en magasin ?
Il y a d’abord les évidences : aide au chargement, location d’outils ou de véhicules, livraison de produits lourds comme les oliviers. Le paiement fractionné fonctionne aussi très bien. D’autres services sont plus complexes. L’installation ou la pose (planter un arbre, aménager un jardin, installer un abri) nécessitent du temps, des partenaires fiables et une organisation locale.
L’animalerie, en revanche, offre un vrai boulevard. Le Dog Wash en libre-service et le toilettage par des professionnels marchent très bien, au point que certains magasins envisagent plusieurs cabines. Nous testons aussi la téléconsultation vétérinaire et nous travaillons également sur l’assurance animaux, et réfléchissons à l’assurance végétale.
Comment analysez-vous vos résultats publiés fin juillet dans le contexte actuel ?
Sur l’exercice juillet 2024 - juin 2025, nous faisons mieux que le marché. Teract Jardinerie/Animalerie est à +1,8 % à 752,6 millions d’euros. Le volume d’affaires de l’ensemble de nos magasins est à +0,5 % en comparable. Quand le marché est à -1,6 % sur le premier semestre et à -1 % l’an dernier, c’est une performance. Cela prouve que nous jouons notre rôle de leader et que nous tirons le marché, y compris par la communication. Nous avons investi en télévision, ce qui est rare aujourd’hui dans notre secteur, et cela contribue à soutenir l’ensemble de la filière.