Stratégie retail

Comment Marc Ténart pilote la remontada de Lapeyre

Par Clotilde Chenevoy | Le | Enseignes

Depuis son rachat, Lapeyre a amorcé un plan de transformation complet avec pour objectif de redevenir rentable dès 2023. Marc Ténart nous décortique les actions prises depuis son arrivée à la tête de l’entreprise.

Marc Ténart, p-dg du groupe Lapeyre. - © Guillaume Murat
Marc Ténart, p-dg du groupe Lapeyre. - © Guillaume Murat

Vous avez pris la tête de Lapeyre en juin 2021. Pouvez-vous revenir sur cette prise de fonction ?

Dans une opération de session, il y a toujours plusieurs étapes et de nombreuses évaluations, notamment financières. Elles donnent une analyse très froide avec de la dynamique dans les chiffres mais elles n’incluent pas d’actions d’améliorations et elles n’expliquent pas les manières dont les personnes travaillent en interne. Quand je suis arrivé à la tête de Lapeyre, j’ai donc échangé avec les équipes de Mutares pour pouvoir mener une évaluation de l’intérieur, et ainsi mieux comprendre et appréhender ce qu’est Lapeyre dans sa globalité.

Les actionnaires ont accepté de ne pas partir sur un plan qui n’était qu’une vision de l’entreprise plus qu’une projection, et de construire une transformation qui se base sur l’existant. Nous nous sommes fait aider de nombreux consultants, non pas pour définir les stratégies, mais pour travailler avec les équipes et projeter tout ce qu’il y a de possible dans l’entreprise. C’est tout ce travail qui a permis d’aboutir à Convergence et Croissance, un plan de transformation important qui touche à tous les aspects de l’entreprise.

Pouvez-vous nous détailler ce projet ?

Il repose sur trois piliers : l’industrie, l’offre et l’accessibilité de l’offre. Sur le premier point, nous avons regardé la compétitivité de notre outil et de notre savoir-faire. Sur le deuxième, nous avons cartographié l’offre, sa qualité, le positionnement des catégories en identifiant celles stratégiques, celles où on doit gagner en crédibilité, ou celles en développement. Nous avons aussi creusé la spécificité de nos produits, notamment RSE. Enfin, sur l’accessibilité de l’offre, on retrouve la supply chain, la disponibilité des articles, la digitalisation, ou encore le parcours client pour les particuliers et les professionnels.

Le plan Convergence et Croissance repose sur trois piliers - l’industrie, l’offre et l’accessibilité de l’offre - avec la satisfaction client en chapeau global.

Et il y a un chapeau commun à ce plan global :  la satisfaction client. C’est un peu bateau, mais avant même que j’arrive, en rencontrant quelques membres d’équipes, on m’a demandé de choisir si Lapeyre était un industriel qui distribue ou un distributeur qui fabrique ses produits. Il y avait aussi deux comités de direction, un pour l’industrie, un pour la partie distribution. Autrement dit, il y avait un rapport de force entre les deux mais les deux activités convergent sur la satisfaction client.

Mutares a également investi financièrement dans l’entreprise…

Nous avons injecté 160 millions d’euros d’investissement. Environ un tiers a été alloué au back office pour une grosse mise à jour de notre système d’informations (réseau et solutions). En sortant du périmètre de Saint-Gobain, il a également été nécessaire de reconstruire certains services généraux. 15 millions d’euros ont été nécessaires pour rendre la société autonome d’un point de vue informatique, tout en se dotant des bonnes compétences en interne.

Un autre tiers des investissements a été consacré à notre outil industriel. Lapeyre possède 9 usines et dispose d’un véritable savoir-faire. C’est l’une des forces de l’entreprise sur laquelle nous devons nous appuyer et que nous revendiquons. Le reste des investissements se partage sur plusieurs sujets généraux dont la rénovation du parc de magasins au nouveau concept. En revanche, le développement du réseau se fera par la franchise pour pouvoir concentrer nos investissements sur l’existant.

Lapeyre communique désormais plus fortement sur le fait qu’il fabrique en France ses produits. - © Républik Retail / CC
Lapeyre communique désormais plus fortement sur le fait qu’il fabrique en France ses produits. - © Républik Retail / CC

Comment avez-vous fait pour mobiliser les équipes autour de ce projet ?

Pour chaque chantier engagé, la tête de pont était quelqu’un de chez Lapeyre. Les consultants sont venus en soutien, en structuration et en accélération des équipes. C’était fondamental pour obtenir l’adhésion de tous et amorcer la relance. Car comme pour toute vente d’entreprise, cela a généré des incertitudes dans les équipes, d’autant plus que Lapeyre quittait alors un groupe comme Saint-Gobain pour un fond spécialisé dans le retournement d’entreprise.

Le comex a été renouvelé avec des gens très expérimentés dans leur domaine. Il y a une course contre la montre qui s’opère et cela demande du professionnalisme et de la compréhension du métier.

Faire participer le plus possible les équipes permet aussi d’identifier les bonnes pratiques ou les idées. L’organisation a d’ailleurs été désilotée pour que les collaborateurs travaillent de manière plus transverse. Le comex a été renouvelé avec des gens très expérimentés dans leur domaine. Il y a une course contre la montre qui s’opère et cela demande du professionnalisme et de la compréhension du métier. Je ne crois pas au patron omnicompétent, ce n’est plus possible aujourd’hui.

Enfin pour convaincre les collaborateurs et apporter du concret au plan Convergence et Croissance, nous avons lancé une démarche de test & learn pour valider et imaginer un passage à l’échelle des différents projets. Le tout en gardant le cap du plan global de l’entreprise et en donnant une grille de lecture pour redonner aussi de la compréhension aux métiers. Cette organisation a rétabli le droit à l’initiative pour les collaborateurs de nos 126 magasins (74 en succursale et 52 détenus par des mandataires), tout en réduisant les risques pour l’entreprise car on reste sur des pilotes. L’objectif consiste à aller vite pour pouvoir renouer cette année avec la rentabilité et la mobilisation des équipes est absolument clé pour cela.

Après cette phase d’introspection et d’embarquement des équipes, vous avez mené un travail sur la marque…

En effet, nous sommes revenus en télévision en début d’année et nous avons présenté à Gournay--sur-Marne notre nouveau concept. Soit des preuves qui viennent donner corps au plan Convergence et Croissance.

En décembre 2021, nous avons initié un travail sur la marque et nous avons lancé une compétition entre agences où TBWA a été sélectionné. Leur idée était de repartir sur l’ancien slogan, peu d’enseignes ont un slogan aussi puissant que celui de Lapeyre. En revanche, l’agence l’a rechargée avec la promesse de marque du plan Convergence et Croissance pour faire ressortir nos singularités. « Lapeyre, il n’y en a pas deux » parce que… Nos différences ressortent dans notre nouveau film publicitaire et à la fin du spot, on ne peut pas mettre une autre enseigne que Lapeyre. Nous revendiquons clairement notre statut de fabricant-distributeur.

Et concernant le concept, comment l’avez-vous repensé ?

L’offre permet de la croissance et l’accessibilité de l’offre apporte du volume. Le point de panne chez Lapeyre, c’était justement la capacité à faire du volume qui s’est contracté avec le temps. Il n’y avait d’ailleurs plus beaucoup de stocks en magasin.

Avec le nouveau concept, nous avons rapproché les produits des clients. Ainsi, un espace libre-service a été créé pour fluidifier l’achat de produits ne nécessitant pas l’intervention d’un conseiller. Le côté fabricant-distributeur est aussi mieux valorisé. Tout cela ne semble pas extraordinaire, mais nous nous sommes attachés à lever de nombreux freins pour effacer une dette et revenir aux meilleurs standards du moment. (Lire ici le reportage complet).

Lapeyre a ajouté dans son nouveau concept un espace libre-service pour produits ne demandant pas forcément de conseils. - © Républik Retail / CC
Lapeyre a ajouté dans son nouveau concept un espace libre-service pour produits ne demandant pas forcément de conseils. - © Républik Retail / CC

Vous avez évoqué tout à l’heure la franchise comme outil d’expansion du réseau. Quelles sont vos ambitions et quel profil cherchez-vous ?

Tout dépendra de la nature et de la taille du projet. Nous avons des mandataires qui ont de l’appétit pour développer de nouveaux points de vente tout comme des investisseurs déjà en franchise qui veulent diversifier leur portefeuille ou des gens qui veulent ouvrir leur premier fonds de commerce.

La relance de Lapeyre est forcément un sujet de questions mais quand on présente la stratégie avec l’offre et nos usines, cela donne du sens. Nous avons l’ambition d’ouvrir 25 nouveaux magasins d’ici 2025 en franchise.  

Enfin, pouvez-vous nous partager quelques chiffres sur Lapeyre ?

Le chiffre d’affaires est de 700 millions d’euros, stable par rapport à 2021. Nous avons enregistré une baisse chez les particuliers qui a été compensée par une hausse de la demande chez les professionnels. Nous avons divisé par deux nos pertes comparées à 2021, et divisé par 5 par rapport à 2019. Nous ciblons la rentabilité dès cette année mais même si nous avons écrit une stratégie claire, nous nous adaptons en permanence au contexte. Nous restons vigilants sur l’évolution des marchés et du prix des matières et des énergies. Nous avons pris 10 à 15 % d’inflation que nous n’avons pas entièrement répercuté, nos prix deviendraient hors marché. C’est un pilotage à mener au plus fin. L’avantage que nous avons c’est qu’en possédant nos usines, nous pouvons faire du sur-mesure avec des délais de vente maîtrisés. Soit un véritable argument de vente.