Luxe : quels leaders pour l’omnicanalité en 2025 ?
Innovation digitale ou culte de la rareté : les leaders du luxe tranchent. À l’heure où l’omnicanalité redessine les parcours clients, certaines Maisons imposent leur vision, d’autres peinent à suivre. Le fossé se creuse entre vitrine soignée et expérience réellement maîtrisée. Décryptage.

Alors que les parcours d’achat dans le luxe sont devenus de plus en plus complexes, mêlant interactions physiques et digitales, l’omnicanalité s’impose comme un enjeu stratégique incontournable pour les grandes maisons. L’étude de Converteo repose sur l’analyse détaillée des parcours clients omnicanaux de 10 maisons de luxe emblématiques et uniquement sur le marché français : Dior, Burberry, Chanel, Hermès, Prada, Yves Saint Laurent, Cartier, Valentino, Gucci et Louis Vuitton, sélectionnées pour leur représentativité du marché du luxe et leur modèle de distribution majoritairement en propre.
Selon le baromètre 2025, plus de la moitié des parcours dans ce secteur sont désormais multicanaux, avec en moyenne vingt points de contact mobilisés avant un achat, soit deux fois plus qu’en 2014. Mais cette évolution soulève une question centrale : comment conjuguer performance opérationnelle, cohérence avec l’identité de marque et expérience client à la hauteur des attentes ?
Une attente forte des clients encore peu satisfaite
Le constat de départ est sans appel : moins d’un client du luxe sur deux se dit pleinement satisfait de son expérience omnicanale. Cette insatisfaction est particulièrement marquée chez les jeunes générations, notamment les Millennials et la Gen Z, qui représentent déjà une part croissante du marché.
Très exposées aux standards d’excellence imposés par des marques comme Apple, Nike ou Sephora, ces clientèles attendent du luxe une expérience fluide, personnalisée et irréprochable sur tous les canaux. Pourtant, les Maisons peinent encore à répondre pleinement à ces exigences, comme le montre l’analyse approfondie des parcours clients de dix d’entre elles, menée par Converteo.
Plus d’ 1 consommateur luxe sur 2 prépare désormais sa visite en boutique en ligne.
Des bases communes, mais des déploiements inégaux
Toutes les Maisons étudiées ont intégré les fondamentaux de l’omnicanalité, comme la visibilité sur Google, la possibilité de prendre rendez-vous en boutique ou l’option de retrait en magasin après un achat en ligne. Ces fonctionnalités sont aujourd’hui considérées comme des basiques. Toutefois, l’étude révèle d’importantes disparités dans leur exécution. Certaines enseignes, comme Van Cleef & Arpels ou Hermès, présentent des fiches Google My Business incomplètes, avec peu de réponses aux avis clients ou des horaires de boutique non actualisés. À l’inverse, Gucci ou Dior assurent une présence soignée et cohérente sur ce canal, avec des contenus visuels enrichis, des descriptions précises et des interactions régulières.
Même constat du côté du click & collect, fonctionnalité bien déployée par Louis Vuitton, avec une interface fluide, un retrait rapide et un suivi accessible depuis l’espace personnel. En revanche, Chanel ou Hermès ne proposent pas ce service, illustrant des choix différenciés de positionnement.
Des fonctionnalités à fort potentiel encore sous-exploitées
L’e-réservation est encore peu développée. Seulement 4 Maisons sur 10 proposent ce service. L’étude en souligne pourtant l’intérêt pour allier gestion maîtrisée de la rareté et relation client personnalisée. Son déploiement reste souvent limité à quelques boutiques ou assorti de frictions dans le parcours de réservation. Autre levier encore marginal : l’application client.
Seule la moitié des Maisons proposent à leurs clients une application dédiée, malgré son potentiel pour prolonger l’expérience boutique et renforcer la fidélité.
Seules la moitié des enseignes en disposent, et même lorsqu’elles existent, ces apps peinent à proposer une expérience engageante. L’étude relève l’absence fréquente de contenus personnalisés, de fonctionnalités à valeur ajoutée comme les recommandations, ou d’intégrations fluides des services (prise de rendez-vous, chat client, services post-achat).

Enfin, le retour omnicanal reste faiblement valorisé. Bien que des Maisons comme Burberry ou Louis Vuitton le proposent, les informations sont souvent ambiguës sur les conditions exactes, les délais ou les modalités de remboursement. Le score global de cette fonctionnalité reste faible (4,6/10), en raison notamment de contenus peu explicites sur les sites.
Une exécution parfois défaillante, y compris sur les fondamentaux
L’étude démontre que même des fonctionnalités basiques, comme la prise de rendez-vous, souffrent d’une exécution perfectible. Si cette option est proposée par 9 Maisons sur 10, la qualité d’exécution varie considérablement : visibilité réduite sur certains sites, absence de créneaux disponibles, manque de personnalisation ou de confirmation claire. Le score moyen sur cette fonctionnalité atteint 7,3/10, mais masque de fortes disparités.
Le service d’extension de gamme en boutique, souvent désigné sous le terme d’« endless aisle », permet de commander un article depuis la boutique même s’il n’est pas disponible sur place, en puisant dans les stocks en ligne ou d’autres points de vente. Cette fonctionnalité, bien que déployée par 9 Maisons sur 10, reste sous-exploitée. L’étude pointe des lacunes dans l’interface de commande, le manque de mutualisation des stocks entre boutiques, ou des délais peu maîtrisés. Certaines enseignes, comme Dior ou Saint Laurent, ont mis en place ce service mais peinent à en garantir une expérience homogène.
Une lecture stratégique des écarts observés
Les différences de maturité omnicanale entre les dix Maisons analysées ne relèvent pas uniquement de contraintes techniques ou organisationnelles. Elles traduisent avant tout des choix stratégiques. L’étude distingue ainsi quatre grands profils. D’un côté, les pionniers comme Gucci, Louis Vuitton ou Saint Laurent, qui ont massivement investi dans le digital avec une approche ambitieuse, immersive et souvent innovante, comme l’intégration de contenus de type NFTs ou de storytelling interactif sur les réseaux sociaux. De l’autre, des Maisons comme Hermès, Chanel ou Van Cleef & Arpels, qui assument une stratégie plus sélective, voire conservatrice, privilégiant l’expérience en boutique, la relation humaine et la rareté, parfois au détriment de l’omnicanalité avancée.
Entre ces deux extrêmes, certains acteurs comme Dior, Burberry ou Prada cherchent à rattraper leur retard. Ils déploient une large palette de fonctionnalités mais peinent encore à en garantir une exécution homogène et irréprochable. Cette hétérogénéité reflète des arbitrages assumés : toutes les Maisons ne visent pas les mêmes objectifs, et certaines préfèrent renoncer à certaines options digitales plutôt que de les proposer à un niveau d’exécution jugé insuffisant.
Un angle mort persistant : la mesure de la performance omnicanale
L’un des enseignements majeurs de l’étude concerne la difficulté à mesurer précisément l’impact des dispositifs digitaux sur la performance commerciale. Aujourd’hui, la plupart des KPIs restent ancrés dans une logique e-commerce, qui ignore la valeur des parcours hybrides. Par exemple, un client qui ajoute un produit à son panier en ligne sans finaliser l’achat est comptabilisé comme un échec, alors qu’il s’agit souvent d’un acte préparatoire à une visite en boutique. L’étude identifie plusieurs freins structurels : silos persistants entre les équipes retail, digital, CRM ou supply chain, gouvernance éclatée, fragmentation des systèmes d’information. À l’inverse, des Maisons comme Gucci bénéficient d’un alignement plus fluide, facilitant le pilotage des parcours et l’intégration de la donnée omnicanale dans leurs arbitrages stratégiques.
À mesure que les attentes des clients montent en gamme, l’omnicanalité devient un terrain de différenciation décisif. Les Maisons devront aller au-delà des fonctionnalités pour construire des parcours intégrés, cohérents et mesurables. La prochaine bataille se jouera sur la capacité à piloter finement cette complexité.
Luxe & innovation : participez à notre prochain dîner le 27 mai
Le Club Retail Talk vous donne rendez-vous le 27 mai pour un dîner confidentiel consacré aux maisons de luxe à Paris. Au programme : des échanges entre pairs autour d’un thème clé pour l’avenir du secteur : « Quelle place pour l’IA au sein des maisons ? ». Un format propice au partage d’expériences et à la prise de recul, exclusivement réservé aux décideurs du luxe.