La grande mue de Cash Converters : du bric-à-brac au magasin de destination
Entre tri en profondeur des catégories, montée en gamme, nouvelle expérience client et retour à la rentabilité, Cash Converters opère une mue profonde. Le nouveau dirigeant du réseau Ahmed Chaieb dévoile comment l’enseigne veut redevenir une destination incontournable de la seconde main.
En France, Cash Converters cherche à tourner la page de « la boutique de déstockage un peu triste pour fins de mois difficiles ». Ahmed Chaieb, à la tête du réseau français, revendique un repositionnement ambitieux : travailler moins de familles de produits, mais beaucoup mieux, pour faire de l’enseigne une véritable destination lifestyle autour du foyer, du high-tech et de la bijouterie-maroquinerie. L’ambition est claire : défendre le pouvoir d’achat tout en assumant une montée en gamme. « Les clients ne viennent pas forcément chercher un produit de destination, et c’est justement là où nous voulons aller, souligne le dirigeant. Travailler moins de familles mais mieux, pour être sûrs de proposer quelque chose qui correspond au besoin, au juste prix. » Dans un contexte où les prix de nombreux produits high-tech ont doublé en dix ans, la seconde main devient un levier essentiel de pouvoir d’achat. « On le voit très bien sur le web, avec Le Boncoin qui explose. »
Débrayer les familles trop expertes : musique, bricolage, vélos
Le premier chantier a été de trier les familles. « Toutes les familles où il faut un niveau d’expertise beaucoup trop élevé, je les arrête », tranche Ahmed Chaieb. Les instruments de musique ont été la première catégorie concernée. « Nous ne sommes pas spécialistes de la gratte, pointe-t-il. Évaluer une batterie ou un violoncelle dans un marché de niche, c’est compliqué. Cela prend du stock, de la place, et ce n’est pas bien mis en perspective en magasin. » Sans scène, sans espace d’essai, impossible de créer une vraie expérience d’usage.
Même verdict pour le bricolage. « Nous n’étions pas un magasin de destination bricolage. Nous avions des vieilles perceuses, des vieilles scies sauteuses qui prenaient la poussière. Au niveau conseil, être capable de recommander le bon outil pour percer un mur, c’était trop hypothétique chez nous. » Les vélos et certains articles de sport ont suivi : produits encombrants, rotation lente, exposition au risque sur l’état et la sécurité. « Quand on ne sait pas faire, on arrête. »
Recentrage sur la maison, l’électroménager et la high-tech
Cash Converters pousse désormais tout ce qui tourne autour de la maison, de l’électroménager et du high-tech. « Nos magasins ne doivent plus être des lieux où une personne seule vient vendre un produit, mais des lieux où les familles viennent se faire plaisir et acheter malin », explique Ahmed Chaieb. Les priorités sont posées : les téléviseurs d’abord, avec une mise en scène calquée sur les spécialistes ; puis le gros électroménager : fours, machines à laver, plaques, ces objets essentiels à la maison. Le petit électroménager suit, mais uniquement les produits premium. « Quand un client veut un aspirateur, il se tourne vers des marques haut de gamme. Nous allons donc nous spécialiser là-dessus, avec des produits comme Dyson, en état impeccable, avec la boîte. » L’objectif est de sortir des codes de la brocante : plus de produits dégradés en vrac.
Cash Converters pousse désormais tout ce qui tourne autour de la maison, de l’électroménager et du high-tech.
L’enseigne a créé une centrale d’achat pour permettre aux magasins de commander de la palette, comme dans le retail classique. Le grading aussi a été simplifié. « Avant, il y avait A, B, C, D. Aujourd’hui, A et B+. Le A, c’est quasi neuf. Le B, c’est fonctionnel, peu utilisé, mais avec un poke esthétique, détaille le dirigeant. Si je peux payer une machine à laver 100 à 150 euros moins cher pour un impact sur le côté, cela profite au client. »
Seconde main « classique » et « seconde chance »
Deux grands flux structurent l’offre : la seconde main du « tout venant » et la « seconde chance », c’est-à-dire les produits quasi neufs, déstockés ou retournés. « Environ 20 % de notre activité vient de la seconde chance. Les 80 % restants, ce sont nos magasins physiques qui génèrent de super produits. Chaque ménage a plein de choses qu’il utilise peu : anciens téléphones, jeux, électroniques. » Le gaming notamment génère beaucoup de repeat. Sur le gros électroménager, en revanche, Cash Converters travaille uniquement la seconde chance. L’enseigne n’est pas encore identifiée comme une destination électroménager, et le risque d’endommagement lors d’un retour est trop élevé.
Les produits proviennent donc directement des fabricants : surstocks, retours rapides, produits garantis. Cash Converters propose même des extensions de garantie. « Sur de la seconde main ou de la seconde chance, nous offrons souvent une protection plus rassurante que dans le neuf, au même prix. »
Bijouterie-maroquinerie : 35 % du chiffre d’affaires et +110 % de croissance
La montée en puissance la plus spectaculaire vient de la bijouterie et de la maroquinerie, désormais piliers stratégiques. « La bijouterie et la maroquinerie représentent 35 % du chiffre d’affaires, avec 110 % de croissance depuis la reprise, indique-t-il. Je ne pensais pas que cela prendrait à ce point. » Les comptoirs ont été entièrement repensés : showrooms, espaces d’essayage, ambiance plus intimiste. Deux sous-métiers coexistent : l’or à la fonte, acheté au gramme selon le cours, et les produits finis : bagues, montres, sacs vendus à l’unité. « Nous travaillons des marques comme Cartier, Hermès. » L’expertise est sécurisée grâce à un référent national joignable en WhatsApp pour un premier avis, puis un circuit d’authentification externe en 24 à 48 heures. Atout majeur : le paiement comptant. « La plupart des plateformes fonctionnent en dépôt-vente. Nous, nous décaissons immédiatement. »
Deux profils viennent vendre : ceux qui vident leurs placards pour financer un achat, et ceux qui ont besoin d’argent immédiatement. Pour soutenir cette montée en gamme, l’enseigne a recruté une spécialiste issue du luxe, qui a revu les codes du parcours client. « Aujourd’hui, le client peut s’asseoir, boire un café, on l’accompagne. Ce n’est pas la même projection. » Le dépôt-vente devient une solution intermédiaire pour tester certaines pièces. L’activité dispose aussi d’un canal digital : Adore, le site e-commerce entièrement dédié à la bijouterie-maroquinerie, avec l’ambition d’en faire une marketplace.
Téléphonie : garantie 24 mois et usine de reconditionnement
La téléphonie est la troisième grande famille qui porte le business. « Nous avons parfois du mal à nous sourcer, c’est pour cela que j’ai dû aller vite sur la production de ma propre gamme de téléphones. » Pour tenir la promesse de garantie 24 mois, l’enseigne a investi dans une usine de reconditionnement. « Elle me permet de capter des téléphones non fonctionnels dans les magasins, de récupérer des pièces ou de les remettre en état. Chaque appareil passe 24 points de contrôle. » L’objectif est de maîtriser la qualité et limiter les retours, en particulier sur les périphériques. Cash Converters fournit désormais une box maison pour les téléphones sans emballage, un chargeur systématique, ainsi que des accessoires (écouteurs, coque, protection d’écran). « Nous voulons que l’expérience se rapproche vraiment de celle du neuf. »
Le gaming, et surtout le retrogaming, reste un univers clé. Des consoles Nintendo 64, Megadrive, Game Boy en boîte : des produits rares, chargés de nostalgie. Le sourcing repose sur des collectionneurs semi-pros qui testent les lots avant de les revendre à l’enseigne. Certains produits vintage comme les magnétoscopes sont très recherchés. « Un magnéto aujourd’hui, cela vaut entre 100 et 200 euros. Ce sont des produits qui rappellent des souvenirs et aspirent le client dans l’univers. »
Un parcours magasin inspiré des nouveaux codes du retail
En magasin, Cash Converters veut sortir du cliché de la brocante sombre. « Ce que je ne veux plus, c’est ce côté où tu ne sais pas où regarder », tranche le dirigeant. Le nouveau concept s’inspire des derniers concepts du retail : îlot central, parcours fluide, univers bien identifiés, mise en scène, travail des matériaux, ambiance olfactive. Le dirigeant note un changement dans la typologie des visiteurs. « Nous avons beaucoup de couples, chacun part voir son univers : téléviseurs, game, bijouterie. Nous voulons qu’ils puissent se balader, se faire plaisir, acheter malin. »
Quand Ahmed Chaieb reprend Cash Converters France, l’enseigne est en difficulté : 4 millions d’euros de pertes annuelles, réseau désorganisé, IT obsolète, absence de stratégie. La crise Covid a aggravé la situation faute de solution e-commerce. Aujourd’hui, la dynamique s’est inversée : 55 magasins, 59 millions d’euros de chiffre d’affaires, +30 % depuis la reprise, et un retour à l’équilibre. Vingt magasins ont été fermés, parfois repris par des concurrents ou en procédure de sauvegarde.
Un modèle financé en fonds propres et des magasins transformés
Les transformations sont autofinancées. « Nous n’avons pas de dette. Je finance les travaux en fonds propres sur nos succursales. » Deux formats dominent : magasins city autour de 100 m² et grands formats de 500 m². Coût : entre 60 000 et 100 000 euros. Le magasin pilote de Caen a été entièrement reconfiguré et affiche 100 % de croissance. Les magasins transformés progressent d’au moins 50 %, et le réseau de +33 %. Environ 40 % du réseau est déjà transformé, y compris certaines zones d’outre-mer.
Les magasins transformés progressent d’au moins 50 %, et le réseau de +33 %.
Pour développer le parc, Cash Converters se tourne vers les bailleurs, dans un contexte favorable. « Nous trouvons des cellules pertinentes à des conditions intéressantes », souligne Ahmed Chaieb. Les surfaces idéales tournent autour de 500 m² pour permettre une vraie profondeur d’offre. Le dirigeant s’appuie aussi sur son expérience logistique avec sa société Pure Ventures, avec des entrepôts à Nice et Paris. La relance passe aussi par une refonte totale de l’IT. « Nous avons refondu tout le système IT, il avait 30 ans. » L’ancien CTO du Boncoin a été recruté. Objectif : encaisser en rayon en deux clics pour éviter les abandons. Un argus interne, structuré par familles, permet de fixer des prix cohérents. Le programme de fidélité a été rouvert et rendu gratuit pour mieux qualifier les clients, principalement âgés de 30 à 40 ans.
Se concentrer sur le métier de franchiseur
L’enseigne se recentre sur son métier de franchiseur. Les magasins détenus en propre deviennent des ambassadeurs, centres de formation et laboratoires. Ils seront progressivement cédés en clé en main. Ahmed Chaieb mise sur le multi-franchisé pour atteindre 130 magasins. Le profil de franchisé type reste ancré dans la culture du commerce. La transformation est aussi culturelle. L’enseigne combat l’idée selon laquelle ces magasins seraient destinés aux personnes en difficulté. Les motivations d’achat sont variées : prix, plaisir, conscience écologique.
Le panier moyen est passé de 70 à 120 euros.
« Nous avons presque un client sur deux qui repart avec un produit », note-t-il. Pour le dirigeant, c’est la preuve que le repositionnement fonctionne. Le réseau, revenu à l’équilibre, veut maintenant standardiser l’expérience, renforcer le sourcing et déployer le modèle. Avec une dizaine d’ouvertures d’ici 2026, dont un futur flagship en région parisienne, Cash Converters assume son ambition : redevenir une enseigne de destination dans la seconde main, en alliant pouvoir d’achat et montée en gamme.