Amazon franchit un cap sur la seconde main avec le lancement des « Jours Seconde Main »
Pour la première fois, Amazon organise une opération commerciale exclusivement dédiée à l’occasion et au reconditionné. Une initiative qui illustre la montée en puissance de la seconde main dans les habitudes de consommation des Français, mais aussi la volonté du géant américain de structurer ce marché à son avantage

Le signal se veut fort : en lançant ses « Jours Seconde Main » en France depuis ce mercredi 3 septembre, Amazon choisit de placer la seconde main au cœur de sa stratégie commerciale. L’opération, qui se déroule pendant une semaine jusqu’au 9, s’accompagne de « remises allant jusqu’à 50 % sur des millions d’articles d’occasion ou reconditionnés ». Au-delà du simple effet promotionnel, l’initiative traduit un changement d’échelle : la marketplace ne se contente plus d’intégrer l’occasion parmi ses offres, elle en fait désormais un axe de communication majeur.
Un marché en croissance rapide
Selon une étude du CEBR commandée par Amazon, 73 % des Français ont acheté au moins un produit d’occasion en ligne en 2024. Ce marché a représenté 5,7 milliards d’euros dans l’Hexagone l’an dernier, avec une prévision de 6,5 milliards pour 2025. La France se place même parmi les pays européens les plus avancés, en tête pour l’adoption des produits reconditionnés et en deuxième position pour les articles d’occasion. Les motivations sont claires : le pouvoir d’achat reste le premier moteur (53 % des consommateurs citent l’économie réalisée comme critère principal), mais la dimension écologique progresse fortement. 44 % des Français associent l’achat d’occasion à une démarche durable et 41 % déclarent privilégier la seconde main plutôt que le neuf pour réduire leur empreinte environnementale.
En 2024, chaque foyer français aurait économisé en moyenne 435 euros sur cinq ans grâce à ses achats d’occasion en ligne. Les jeunes générations tirent le mouvement : 91 % des moins de 34 ans déclarent acheter des produits d’occasion, contre 56 % des plus de 55 ans.
Amazon en quête de légitimité
Pour Amazon, qui a généré plus de 2 milliards d’euros de ventes d’occasion et de reconditionné en Europe et au Royaume-Uni en 2024, ce tournant correspond à une stratégie de crédibilisation. L’entreprise veut se positionner comme un nouvel acteur de l’économie circulaire. « Nous observons un véritable phénomène de conversion : une fois que les clients expérimentent la qualité de nos produits d’occasion, ils leur accordent leur confiance durablement, affirme Julie Laboureix, directrice retail d’Amazon pour l’Europe. Le groupe insiste sur son processus de contrôle qualité : inspection, test, nettoyage et réparation éventuelle des produits avant remise en vente.
L’offre est structurée autour de deux programmes distincts. D’un côté, Amazon Seconde Main, qui regroupe les produits retournés classés par état (de « Comme neuf » à « Acceptable »). De l’autre, Amazon Renewed, qui concerne les articles reconditionnés par des partenaires agréés. Dans les deux cas, Amazon promet des garanties proches de celles appliquées au neuf : service client premium et politique de retour simplifiée.
Structurer un marché encore perçu comme risqué
L’essor de la seconde main ne gomme pas toutes les réticences. 37 % des Français expriment encore un manque de confiance lié aux garanties, 36 % s’inquiètent de l’état réel des produits et 28 % pointent la fiabilité des vendeurs. C’est précisément sur ce terrain qu’Amazon entend se différencier, en apportant un cadre rassurant et une standardisation du marché. La promesse est claire : appliquer les standards de la distribution en ligne - livraison rapide, retours facilités, service client - à un univers traditionnellement fragmenté, dominé par des acteurs spécialisés (Back Market, Vinted, Leboncoin) ou par des initiatives de marques. En donnant de la visibilité à l’occasion via une opération nationale, Amazon banalise l’achat de seconde main et le fait passer du statut de pratique alternative à celui de norme commerciale.
L’étude du CEBR souligne que le marché de l’occasion en ligne ne se limite pas à capter une demande existante : un achat sur deux représenterait une activité économique nouvelle. Autrement dit, la seconde main ne se substitue pas seulement au neuf, elle génère aussi une consommation additionnelle. En France, les dépenses mensuelles moyennes consacrées à l’occasion en ligne s’élèvent à 102 euros. L’impact environnemental est tout aussi visible. En 2024, 350 millions de produits ont été maintenus en circulation en France grâce à l’occasion et au reconditionné. À l’échelle européenne, le chiffre atteint 740 millions. Amazon veut « revendiquer ainsi sa contribution à la réduction des déchets et à l’allongement du cycle de vie des produits, en cohérence avec son objectif de neutralité carbone en 2040 ».
Au-delà de l’effet d’annonce, l’opération illustre la trajectoire d’un marché en pleine normalisation. La logique rejoint celle déjà observée dans la mode, où de nombreuses enseignes testent ou développent des espaces dédiés au reconditionné et au vintage. Mais dans le cas d’Amazon, le potentiel est démultiplié par la puissance logistique et marketing de la plateforme. « Les consommateurs sont aujourd’hui en recherche active de produits d’occasion dans des secteurs très diversifiés, de la technologie à l’électroménager, observe Mariangela Marseglia, vice-présidente EU Stores chez Amazon. Chez Amazon, nous sommes convaincus que la revente d’articles retournés est bénéfique pour la planète et pour l’économie, mais répond aussi à une véritable attente des consommateurs. »
En organisant ses « Jours Seconde Main », Amazon cherche à imposer ses standards sur un marché qui attire de nouveaux entrants et suscite l’attention des enseignes. Pour les acteurs déjà positionnés, l’initiative représente une pression supplémentaire : Amazon dispose de la capacité à massifier, rassurer et capter des volumes considérables. Si l’opération trouve son public, elle pourrait redessiner les équilibres entre spécialistes de la seconde main et distributeurs généralistes.