Bienvenue au commerce « Direct to Avatar » [Analyse]
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Acheter pour son avatar, un commerce qui prend de l’ampleur… et semble bien lucratif. Explications de Nicolas Diacono, Digital Trends Analyst chez l’Echangeur by BNP Paribas Personal Finance.
Le buzz actuel autour du concept des métavers avec ses mondes virtuels et digitaux est aussi impressionnant qu’incompréhensible pour de nombreuses entreprises et de nombreux consommateurs. Pour beaucoup d’acteurs du commerce, ce sujet reste très éloigné de leur ADN. Il n’en reste pas moins que les initiatives de marques et de distributeurs se multiplient, définissant des nouveaux modèles commerciaux. Un des modèles les plus mis en avant ces derniers temps est celui du commerce pour son avatar ou le « direct to avatar » (D2A).
Le D2A c’est la possibilité d’acheter des vêtements, chaussures et accessoires pour un avatar comme ceux évoluant dans un jeu vidéo ou dans un monde virtuel. Alors que le commerce direct auprès des consommateurs a éliminé nombres d’intermédiaires et a permis l’émergence de nouvelles marques et enseignes, le D2A va lui aussi s’affranchir d’une partie des acteurs de la distribution. Il s’agit là de tout l’écosystème logistique de la distribution qui va être absent de ce nouveau commerce 100 % digitalisé.
Un marché pas si nouveau…
Ce commerce existe depuis de nombreuses années dans l’univers du jeu vidéo. Une industrie florissante dont le marché a représenté plus de 180 milliards de dollars en 2021, soit + 23 % versus 2019. En 2022 ce sont plus de 50 milliards de dollars qui devraient être dépensés pour acheter des objets virtuels, avatars, « skins » sur Fortnite, FIFA, Roblox, Sandbox, Decentraland,…
En 2020, Fortnite en collaboration avec la NFL (la ligue professionnelle de Football Américain) avait réussi à vendre pour plus de 50 millions de dollars de « skins » pour les avatars des joueurs qui souhaitaient porter les couleurs de leur équipé préférée. Les concerts réalisés dans les plateformes gaming de Roblox ou Fortnite réunissent à chaque fois des millions de personnes via des avatars. Les utilisateurs sont tous réunis dans un même lieu pour écouter un artiste tout en pouvant interagir avec les autres participants et parfois avec les stars. Le chanteur Travis Scott a gagné plus de 2 millions de dollars en produits dérivés virtuels lors de son concert sur Fortnite contre 500 000 dollars lors d’un concert dans un stade.
Nos jeunes générations grandissent et interagissent socialement au sein de ces écosystèmes pixelisés, leur avatar devient une véritable identité statutaire. Aujourd’hui adolescent, demain ils seront des adultes avec des codes de consommation bien loin des standards actuels. En effet, un GenZ est déjà prêt à dépenser autour de 200$ pour un objet virtuel, selon une étude récente de Statista.
Pour Andrew Ku, fondateur d’ADA, une marketplace virtuelle sud-coréenne dédiée à la mode : « aujourd’hui les GenZ coréens dépensent plus d’argent en produits virtuels et NFTs que pour acheter de vrais vêtements sur des sites e-commerce ». De son côté, Samantha G Wolfe, professeure à NYU, va même plus loin : « les GenZ considèrent leur avatar comme une extension d’eux-mêmes. Ils représentent la personnalité et le caractère de leur propriétaire. »
Faire émerger sa marque aussi dans les univers virtuels
Les dernières annoncent de Nike à Carrefour pour intégrer cet écosystème et ce nouveau commerce D2A prennent alors tout leur sens.
Quand Carrefour annonce avoir acheté un terrain sur The Sandbox, après avoir déjà créé une première expérience virtuelle dans Fortnite avec son programme Act For Food, on peut imaginer que l’objectif de l’enseigne est de pouvoir communiquer auprès des avatars de ce monde digital. Des avatars qui s’équipent et achètent des biens virtuels dans le jeu mais dont les utilisateurs ont besoin de se nourrir dans le vrai monde.
De Balenciaga à Vans, un grand nombre de marques se sont empressées de lancer des boutiques dans le jeu Roblox pour habiller les avatars des joueurs. Nike a même créé son Nikeland fin 2021, un mixte entre magasin virtuel et jeu vidéo pour avatar. Avec le rachat des studios RTFKT, Nike va pouvoir aller beaucoup plus loin. La marque de l’Oregon pourra tester auprès des jeunes consommateurs des collections de produits à destination des avatars, tout en monétisant ces concepts sous forme de NFTs. Si ces produits digitaux connaissent le succès, ils seront alors produits pour le vrai monde. Les clients pourront porter les mêmes vêtements ou chaussures Nike que leur avatar.
Dans un sens, c’est déjà ce que fait le site e-commerce Finesse avec ses algorithmes créateurs de vêtements. Sur ce site, une intelligence artificielle créée des vêtements qui sont ensuite soumis au vote des clients. Les produits obtenant le plus de votes sont alors produits et vendus sur le site. Le pont entre création virtuelle et monde réel existe déjà.
Pour Nicolas Julia, co-fondateur de Sorare, il est même probable que dans un futur proche, l’identité digitale d’un consommateur soit sous la forme d’un jeton numérique associé à un avatar. C’est d’ailleurs ce que propose une startup comme Arianee. Cette jeune société prometteuse permet d’associer un token non fongible ou NFT à un vêtement acheté en ligne ou en magasin, assurant l’authenticité du produit tout en créant un double numérique de ce dernier. Ce double numérique peut ensuite être porté par l’avatar du client via une application mobile dédiée. Arianee se focalise aujourd’hui principalement sur l’industrie du luxe.
Un franc succès pour Adidas et Bored Ape Yacht Club
De son côté, la marque Adidas s’est associée avec les fameux NFTs Bored Ape Yacht Club, pour créer une nouvelle expérience et offre digitale autour de la marque à trois bandes. A ce jour, les Bored Ape Yacht Club s’échangent pour plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce sont des images uniques de petits singes avec chacun des styles différents et enregistrées sur la blockchain. Ils s’arrachent auprès des stars du football, de la NBA ou d’Hollywood. A tel point que les mettre en photo de profil sur son compte Twitter ou Instagram est devenu un véritable marqueur de sa réussite. Demain, nos avatars pourraient être les garants de notre identité digitale.
Lors de la NRF 2022, la marque Estée Lauder s’est lancée sur les NFTs avec sa marque Clinique afin de créer un système statutaire et de fidélisation d’un nouveau genre. Les possesseurs des NTFs de la marque ont ainsi 10 ans d’échantillons produits gratuitement et pourraient même avoir un droit de regard concernant les produits à venir, grâce à la mise en place d’une organisation autonome et décentralisée (DAO). En se projetant rapidement, on peut même estimer que les programmes de fidélisation des enseignes de mode ou de beauté soient constitués d’objets virtuels plus ou moins rares pour équiper les avatars des consommateurs. Des objets permettant aux avatars d’obtenir un statut unique. Même si cela peut paraitre loin de notre monde actuel, il est fort probable que cela arrive avant la fin de cette décennie.
Au final, il est clair que pour la majorité des marques du luxe, de la mode ou encore du sport il va être impossible de s’affranchir du commerce pour les avatars. Que ce soit pour communiquer auprès des jeunes générations ou créer les outils de la fidélisation de demain.
A propos de l’auteur : Après plusieurs expériences au sein de startups biotechnologiques puis dans un cabinet de conseil en innovation, Nicolas Diacono intègre l’Echangeur by BNP Paribas Personal Finance. Avec plus de dix ans d’expérience dans la veille technologique et la prospective sur les tendances digitales, il accompagne aujourd’hui les clients internationaux de l’Echangeur dans leurs réflexions stratégiques.