Stratégie retail

Cap France : « l’enjeu, c’est de casser l’image vieillotte du village vacances »


À la tête de Cap France, Damien Duval déploie une stratégie ambitieuse pour moderniser l’image du village vacances. Entre montée en gamme raisonnée, développement territorial et nouveaux services, il réaffirme la pertinence d’un modèle tout compris ancré dans les territoires et adapté aux attentes des clientèles d’aujourd’hui.

Cap France a réalisé 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024. - © D.R.
Cap France a réalisé 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024. - © D.R.

Quels ont été les moteurs de votre croissance en 2024, et quelles ambitions pour 2025 ?

Cap France a réalisé 110 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, dont plus de 70 % proviennent de l’activité groupe. Des séjours de plus de dix personnes (sportifs, associations, familles), concentrés entre avril et juin, puis de septembre à octobre. Cette période inclut aussi les séminaires et le segment « Meeting Event ». En parallèle, l’activité individuelle et familiale se déploie sur les vacances scolaires. 2024 a été une très belle année, avec des taux de réservation assurés à 70-80 % dès la fin d’été 2023. L’activité groupe, qui avait mis du temps à redémarrer après le Covid, a retrouvé ses volumes, même si les tailles moyennes de groupes ont légèrement diminué.

Côté familles, la dynamique était bonne jusqu’à mai, avant d’être freinée par plusieurs facteurs : élections anticipées, Jeux olympiques (avec un report de congés), et une météo printanière peu incitative à réserver. Malgré cela, nous avons maintenu nos résultats par rapport à 2023, là où d’autres comme les campings ont reculé de 4 %.

Pour 2025, plusieurs leviers sont activés pour renforcer notre chiffre d’affaires et notre taux de remplissage : une visibilité accrue en télé, une refonte complète de notre site e-commerce avec intégration de l’intelligence artificielle pour fluidifier le parcours client, et un élargissement des prises de parole commerciales. Chaque année, nous dépensons entre 2 et 3 millions d’euros pour toute la communication.

Ces premiers mois sont-ils sur une bonne dynamique ?

Absolument, avec plus de 10 % de réservations supplémentaires par rapport à l’an dernier. Les séjours d’été ont été réservés de façon plus anticipée, dès janvier-février, et plus de 60 % des réservations en ligne portent déjà sur la saison estivale. Malgré un contexte économique et social incertain, nos prévisions restent positives, avec une hausse attendue de +10 à +15 % pour la fin de l’été. Mais la prudence s’impose : le mois de mai, très chargé en ponts cette année, grignote comme souvent une partie du budget que les Français consacrent aux vacances d’été. On anticipe donc un phénomène de dernières minutes, avec des décisions de réservation repoussées à fin mai ou début juin. La reprise des réservations devrait s’amorcer dans les prochaines semaines.

Une autre tendance lourde s’est confirmée et amplifiée : des remises fortes, entre 30 et 40 %, proposées par l’hôtellerie et l’ensemble du secteur touristique.

Les promotions sont plus importantes que d’habitude ?

Oui. Et la concurrence a été très agressive. Aujourd’hui, vous allez avoir une partie de la clientèle qui va plus acheter une promotion qu’elle ne va acheter un produit. Toute la difficulté pour une marque comme Cap France, c’est de maintenir un bon rapport qualité-prix, sans être obligé de systématiser des remises trop importantes.

Il faut arriver à démontrer que, dans un modèle tout compris, le coût total pour une famille peut être inférieur, toutes proportions gardées, à celui d’une location en mobil-home ou maison de vacances, où il faut ensuite ajouter les courses, la cuisine, les activités à organiser, etc. Notre enjeu est de défendre la valeur du tout compris comme une solution à la fois économique, pratique et qualitative pour les vacances.

Votre dynamique territoriale répond-elle à une logique de croissance ou de rééquilibrage de l’offre ?

Les deux. D’abord, il y a une stratégie de développement ciblée sur certaines destinations où Cap France est peu, voire pas du tout présent. Le sud de la France, par exemple, est stratégique pour nous. Mais c’est une région marquée par une forte pression foncière et une concurrence importante, ce qui rend notre implantation plus complexe.

Notre logique, c’est de proposer une double offre : d’un côté, une offre de village vacances clubs à la semaine, en tout compris avec prise en charge des enfants ; de l’autre, une formule plus souple, plus proche de l’hôtellerie, avec toujours l’ADN Cap France un accueil personnalisé, sur des courts ou moyens séjours, et une vraie capacité à faire découvrir la région. Et cette année, nous poursuivons ce mouvement, notamment dans le Sud-Ouest, sur la côte Atlantique et le nord des Landes, où notre présence est encore limitée.

Comment définissez-vous aujourd’hui votre positionnement dans un paysage touristique en recomposition ?

Cap France s’inscrit dans l’univers des villages vacances et hôtels clubs, un marché en pleine mutation. Nous comptons 890 établissements labellisés « villages vacances » en France. C’est un marché qui s’est nettement concentré : on est passé d’une vingtaine de marques il y a dix ans à moins d’une dizaine aujourd’hui. Une concentration croissante, avec des fusions, des acquisitions, et une montée en puissance d’acteurs qui investissent massivement dans la prémiumisation de l’offre, comme Club Med, Belambra ou Pierre & Vacances.

Face à cela, notre stratégie est claire : monter en qualité, certes, mais sans tomber dans une montée en gamme excessive, qui exclurait une partie des clientèles. Nous avons investi plusieurs millions d’euros ces dernières années dans la rénovation de nos structures, tout en maintenant un bon rapport qualité-prix, capable de répondre à une clientèle large. Nous nous situons aujourd’hui sur un positionnement « premium accessible ».

Quels sont les grands piliers de votre stratégie ?

Nous arrivons au terme d’un cycle stratégique de dix ans, lancé en 2014. À l’époque, notre feuille de route reposait sur trois axes : monter en qualité et en gamme sur la restauration, avec une forte orientation « local, fait maison, bien manger » ; investir massivement dans la rénovation de nos équipements ; et enfin reconquérir la clientèle famille, qui avait été un peu délaissée au profit de l’activité groupe. Dix ans plus tard, on peut dire que ces objectifs ont été atteints : nos niveaux de remplissage sur le segment famille n’ont plus rien à voir avec ceux d’il y a dix ans.

Nous travaillons actuellement à finaliser la stratégie 2025-2035, qui reposera sur quatre piliers. Le fil conducteur pourrait se résumer ainsi : être acteur, être à l’écoute, être innovant, s’assumer. Cap France, ce sont 1 300 équivalents temps plein, plus de 2 300 salariés. Il faut donc renforcer notre marque employeur pour attirer et fidéliser les équipes.

Être à l’écoute, c’est suivre l’évolution des attentes clients. L’image d’Épinal du village vacances des années 60-70 ne tient plus. Il faut moderniser notre produit, rendre les séjours plus fluides, plus modulables. Aujourd’hui, les clients veulent plus de flexibilité dans les arrivées, dans la configuration des hébergements — pouvoir venir en famille élargie, organiser un événement… Cela nécessite de repenser nos équipements et notre logique d’investissement.

On a une clientèle qui est extrêmement fidèle, avec des taux de retour de plus de 60 %.

En cinq ans, on a doublé nos investissements digitaux, et cela porte ses fruits. À partir de 2026, nous allons renforcer encore notre présence dans les mass media, notamment télé, affichage métro, et multiplions les prises de parole. Il y a cinq ans, Cap France adoptait une posture plutôt discrète avec une clientèle très fidèle, avec des taux de retour de plus de 60 %. On existe depuis 75 ans, avec des structures qui sont Cap France depuis plus de 30 ans. Mais pour continuer à progresser, notamment sur le segment famille, il faut être visible.

Nous devons affirmer notre modèle économique atypique sans actionnaires, avec le réinvestissement local comme un atout différenciant. Plus de 60 % de nos établissements sont à la fois gestionnaires et propriétaires de leurs murs. Pour réussir, nous sommes condamnés à nous développer, à trouver de nouvelles destinations. Tout l’enjeu est de convaincre des indépendants qu’ils peuvent rejoindre un réseau structuré, à forte image, tout en conservant leur identité locale.

Comment vos offres évoluent face à des clientèles de plus en plus connectées, exigeantes, et à la recherche de sens ?

Quand vous êtes sur un produit tout compris comme celui de Cap France, les modèles de réservation ne sont pas forcément les mêmes que ceux de l’hôtellerie classique, à la nuitée. Près de 60 à 70 % de nos réservations sont encore faites par téléphone. Quand vous devez dépenser entre 3000 et peut-être 5000 € pour toute une famille, une semaine de vacances, vous avez besoin d’avoir une réassurance. Ces néo-clients n’ont pas forcément une affinité particulière avec nos produits « village vacances, hôtel club », comme l’ont certaines générations qui, dans les années 70, étaient habituées à y aller et qui reviennent aujourd’hui en tant que parents ou grands-parents.

Néanmoins, depuis cinq ans, nous observons une montée en puissance de l’e-commerce parce que justement, on a essayé d’être dans une logique de composition du séjour, et non plus du séjour qui s’impose : tel montant, telle durée, telle activité. Notre site représentait, il y a cinq ans, 4 % du chiffre d’affaires et générait quasiment 1,8 million d’euros. En 2024, nous avons atteint 5,2 millions soit 16 % du CA. Fin 2025, nous ambitionnons les 20 %. Le digital doit permettre à nos clientèles de composer leur séjour de façon fluide, tout en gardant la possibilité de poser des questions humaines et concrètes.

La segmentation traditionnelle : familles, seniors, groupes, etc. reste-t-elle pertinente ?

Aujourd’hui, une grande partie de notre activité groupe repose sur les associations, les clubs de randonneurs, les seniors. C’est un public qui nous est fidèle depuis vingt ans. Mais si on ne renouvelle pas cette clientèle, on la perdra à horizon dix ans. Ce sont des retraités qui, dans leur jeunesse, ont connu les villages vacances, et y sont revenus naturellement. Mais l’engagement associatif en France a considérablement reculé.

On voit apparaître une nouvelle typologie de groupes, non plus issus de structures associatives, mais constitués de particuliers. Des groupes d’amis, des familles élargies, des communautés affinitaires. Et cela change tout en termes de préparation et de consommation du séjour. D’où l’importance de penser dès aujourd’hui un produit capable de répondre aux futures attentes des clientèles individuelles et familiales qui, dans dix ans, seront peut-être les groupes de demain. Il faut adapter à la fois le contenu, la manière de commercialiser et l’approche relationnelle.

Par exemple, les retraités d’aujourd’hui sont beaucoup plus à l’aise avec l’e-commerce que ceux d’il y a dix ou quinze ans. Ils sont capables de réserver en ligne, de gérer leur séjour à distance. Ce qui n’était pas le cas de la génération précédente, encore très attachée au catalogue papier et au téléphone. Nous sommes donc entrés dans une phase de transition stratégique, à la fois sur nos messages, nos offres et nos outils. Le modèle doit se transformer pour accompagner cette évolution de la société.

Ce modèle du tout compris est-il amené à s’adapter ?

Il est notre ADN et est loin d’être dépassé. Je pense même qu’il est d’une extrême modernité aujourd’hui. Ce que nous proposons, ce n’est pas une prise en charge rigide, c’est une prise en charge en toute liberté. Le client sait, avant de partir, que tout est déjà inclus et payé : l’hébergement, la restauration (petit-déjeuner, déjeuner, dîner), les activités extérieures, la prise en charge des enfants… Mais il reste libre de son rythme. Ce n’est pas une formule “enfermante”, au contraire, elle allège la charge mentale liée à l’organisation des vacances tout en laissant de la flexibilité dans le quotidien.

La vraie évolution, c’est d’intégrer plus d’individualité dans un cadre historiquement collectif.

Ce modèle a donc vocation à s’adapter, mais pas à disparaître. La vraie évolution, c’est d’intégrer plus d’individualité dans un cadre historiquement collectif. Comment permettre plus de personnalisation, de souplesse, tout en conservant les fondamentaux du tout compris ? C’est cette piste que nous explorons. Et au-delà de l’organisation, il y a l’expérience de vacances que nous voulons défendre : un accueil personnalisé, une découverte culturelle et sportive, une cuisine locale de qualité… Quand on confie ses enfants dans un établissement Cap France, ce n’est pas pour les mettre dans une salle de 10h à 18h. Il y a une vraie démarche éducative et de découverte, qui nous distingue clairement de d’autres modèles.

Concernant les agences de voyages en ligne (OTA), où en êtes-vous ?

On ne travaille avec aucun OTA. Parce que notre job est d’augmenter la rentabilité et le chiffre d’affaires dans nos établissements. Si on commence à être dans une logique d’aller porter une partie de la commercialisation sur les OTA, vous perdez entre 10 et 20 points de marge.

Se mettre sur Booking ou autres quand vous êtes un hôtel club n’a pas véritablement d’intérêt. Notre force est de proposer des activités, de la restauration, avec l’hébergement pour maîtriser à la fois l’image de la marque et pour avoir une meilleure rentabilité pour les établissements. Nous avons toujours refusé d’avoir un plateau de réservation centralisé. Il n’y a rien de pire que de téléphoner à une centrale et d’avoir quelqu’un qui ne connaît pas l’établissement, parce qu’il n’y vit pas, ne connaît pas la destination ni les spécificités même de l’établissement. Cap France envoie du lead direct, trace les appels, pour que ce soit toujours quelqu’un de l’établissement qui réponde et qui commercialise.

Comment structurez-vous votre stratégie de fidélisation dans un réseau composé d’entités autonomes ?

Notre programme repose sur un système de cashback en place depuis une vingtaine d’années. Que vous veniez en groupe, en famille ou en individuel, vous cumulez 1 euro par jour et par personne payante, reversé sous forme de chèque fidélité. Cela représente une enveloppe conséquente, réutilisable dans un autre établissement du réseau. À cela s’ajoutent des partenariats très solides avec une vingtaine de grandes fédérations sportives, de CSE ou de mutuelles, avec qui nous avons construit des remises partenaires durables. Ces liens ont été tissés sur le long terme, et aujourd’hui, ils représentent un potentiel de plus de 10 millions de Français.

Nous avons aussi un système classique de gratuités pour les groupes : une personne offerte pour 20 payantes, par exemple. Ces mécanismes renforcent la fidélisation par l’avantage immédiat, mais aussi par le bouche-à-oreille, qui reste très puissant. Notre programme a été entièrement dématérialisé il y a deux ans pour une meilleure gestion de la relation client. La prochaine étape, d’ici 2027, c’est d’aller plus loin dans la logique de services associés à la fidélité. Se différencier par l’expérience sur place, pas seulement par les remises. Aujourd’hui, notre base de clients fidèles est très bien qualifiée, et nos campagnes ciblées ont des taux de transformation deux fois supérieurs à ceux du reste de la base.

Avez-vous lancé de nouveaux services récemment ?

Deux nouveautés majeures ont été lancées cette année. « Meeting Event by Cap France », une offre destinée à capter des parts de marché sur le segment des séminaires mais pas uniquement. Les entreprises attendent du team-building, de la découverte, du lien, pas seulement du contenu métier. Et dans ce contexte, les villages vacances sont une réponse pertinente, d’autant plus que beaucoup d’entreprises souhaitent inscrire leurs événements dans une logique RSE. En à peine trois mois, nous avons observé une hausse de 100 % des demandes de devis sur ce segment.

La seconde nouveauté concerne le segment famille. Nous avons lancé en janvier un nouveau label baptisé « Familigo ». Il a été pensé comme le concentré de ce qu’il y a de mieux pour l’accueil des familles en période estivale : nombre d’activités garanties, niveau de prise en charge, qualité des services, flexibilité… Pour cette première saison, 7 établissements ont été labellisés, et nous visons 14 sites d’ici l’été 2026.

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RDV à Resto Days les 13 et 14 mai. - © D.R.
RDV à Resto Days les 13 et 14 mai. - © D.R.

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